S’appuyant sur les conclusions du Grenelle de l’environnement (octobre 2007) et la réforme de la constitution de mars 2003, le PPM soumettait au vote de l’Assemblée Nationale française, au mois d’octobre dernier, un amendement à l’article 1 du projet de loi de mise en œuvre du Grenelle.
Cette proposition mineure, puisqu’elle se borne à reprendre une disposition de la constitution déjà en vigueur (l’alinéa 3 de l’article 73), a -sans surprise parce que sans enjeu- été adoptée « à l’unanimité » des parlementaires.
On voit d’ailleurs mal comment ces derniers auraient refusé de donner caution à l’application d’un article qu’ils avaient solennellement voté quelque cinq ans plus tôt et qui, tout compte fait, maintient le statu quo dans les derniers confettis de l’Empire… On sait depuis longtemps qu’une petite couche de « gouvernance » contrôlée depuis Paris n’a jamais entraîné de révolution copernicienne en Colonies. On peut donc être bon prince et dormir tranquille…
Le pathétique dans cette histoire banale –un ordinaire de ruses politiques et de lâchetés- c’est bien l’excitation du PPM à brandir ce petit cadeau élyséen comme un haut fait de guerre, une « victoire historique » arrachée après moult batailles épiques et qui permettrait, assez étonnamment, « de marquer une rupture, de créer une nouvelle manière de concevoir le développement ou encore la culture du risque » (Progressiste du mercredi 15 octobre 2008). Mieux ! Nous serions, de l’avis de l’actuel président du PPM, « en train d’écrire les normes du troisième millénaire » (France-Antilles du mercredi 22 octobre 2008)… Serait–ce avec l’encre de toutes les redditions ?
Il convient en tout cas, en cette période d’extrême confusion et de triomphe de toutes les rodomontades, de s’interroger sur la stratégie et les méthodes de ceux dont Renaud De Grandmaison, pourtant membre du PPM, disait, avec une rare lucidité, qu’ils n’étaient prompts qu’à « trouver l’invective plus commode que l’information politique ». D’autre part, la « gouvernance écologique » et l’article 73-3 –la nouvelle pierre philosophale du PPM- peuvent-ils sérieusement constituer des instruments de développement pertinents pour notre pays ?
Quand l’ego s’enfle jusqu’à la collusion…
Les responsables du PPM actuel ont très peu retenu du césairisme (s’ils l’ont étudié) ; à contresens du « plus large contre le plus étroit », maintes fois prôné par Césaire, ils ont fait le choix du plus étroit contre le plus large et des intérêts partisans contre l’intérêt général. Ce qui les préoccupe, ce n’est pas comment rassembler les martiniquais afin de construire une alternative durable et concertée pour le nouveau siècle mais comment « avoir la main » et perpétuer leurs carrières.
Rien de ce qui n’est pas conçu et voulu par l’Ego Fondamental n’a donc droit de cité à leurs yeux. La propagande haineuse contre les présidents du Conseil Général et du Conseil Régional, ou contre les indépendantistes, reflète cette vision fermée, bornée et égo-centrée de l’action publique.
Cette exacerbation de l’égo et la perte de sens du combat politique ont entraîné ce parti dans des dérives qui ont abouti à la collusion avec l’Etat français, contre d’autres martiniquais… L’immaturité politique et l’aveuglement généré par les ambitions personnelles ont contribué à cette triste situation qui freine la marche en avant de notre nation et détourne le PPM de la vocation que le poète aujourd’hui disparu avait conçue pour lui : conduire la Martinique « hors des jours étrangers ». Ce n’est donc pas sans raison que certains se sentent plus à l’aise dans les couloirs des ministères parisiens que dans une plénière commune des conseillers régionaux et généraux sur la question essentielle du développement.
Mais la manœuvre, l’arrogance, le jeu perfide avec le colonisateur n’ont jamais permis à aucun peuple de s’émanciper. Bien au contraire ! En l’occurrence les stratagèmes solitaires n’aboutissent qu’à affaiblir la position martiniquaise face à l’Etat sarkoziste. La démarche qui sous-tend l’amendement du PPM –sauf vigilance et sens de l’histoire des élus martiniquais à l’occasion du congrès prévu pour le 18 décembre- risque d’engluer notre pays dans le statu quo colonial pour de longues années.
Il doit, de toute évidence, être clair pour chacun que la lutte d’émancipation nationale et sociale de notre peuple exige une vigilance éthique permanente et la capacité de dépasser le désordre des ego pour mettre au centre de nos engagements les intérêts du pays et eux seuls. C’est uniquement de cette manière que nous pourrons nous hisser à hauteur d’histoire et cesser d’être les « jouets sombres au carnaval des autres ».
C’est nous seuls qui…
Toute la stratégie du député du centre et de ses affidés repose dès lors sur la propension à traiter par le mépris et à tenter de court-circuiter toutes les initiatives qui échappent à leur contrôle. Dans cet exercice, ils pourront toujours compter sur le petit coup de pouce complice du gouvernement de Sarkozy.
Ils cherchent ainsi à crédibiliser leur projet de « gouvernance écologique » en distillant, au prix d’une amnésie forcenée, l’aberration selon laquelle les autres ne feraient rien et que notre très improbable génie de la ville-capitale serait le seul à penser, le seul à vouloir, le seul à agir…
C’est, malheureusement, boursouflé de cette fatuité que « le Progressiste » du 8 octobre 2008 écrit à propos de la valorisation du patrimoine environnemental : « Si d’autres initiatives ont été prises, elles ne paraissent pas suffisantes devant l’ampleur des enjeux ». Dans l’édition du 22 octobre 2008, le travail des écologistes est traité avec une rare morgue : « Quel Travail ? » s’insurge une élue de ce parti (page 8).
« Quelle insignifiance ! », avons-nous envie de rétorquer… Comment, en effet, oser traiter par le mépris la contribution déterminante de l’ASSAUPAMAR dans l’éveil d’une conscience écologique martiniquaise –conscience sans laquelle aucun projet ne serait viable ? Comment oser traiter par le mépris l’engagement et le sacrifice de ces femmes et de ces hommes qui dans des batailles mémorables aux Salines, à Crève Cœur et aujourd’hui encore à Sainte-Luce ont permis la sauvegarde du patrimoine naturel de la Martinique sur lequel nous pouvons espérer aujourd’hui bâtir un avenir ? Nous devrions les remercier mille fois, car ils ont rendu notre futur possible.
Par ailleurs, contre toutes les amnésies –celles subies comme celles savamment entretenues- il importe, outre le travail de l’ASSAUPAMAR, de rappeler les efforts considérables réalisés par le Conseil Général et le Conseil Régional en matière de valorisation de la biodiversité, d’éducation et de préparation aux risques majeurs ou encore de développement durable. En 2005 –plus de deux ans avant le Grenelle de l’environnement- était lancé l’Agenda 21 qui mobilisait des centaines de martiniquais, dans des ateliers ou des forums citoyens et aboutissait à un projet de développement global pour la Martinique qui prend en considération l’ensemble des aspects de la vie de notre peuple. Le Schéma Martiniquais de Développement Economique, lui aussi marqué par l’idée du développement durable, mobilisait des énergies importantes.
Résultats de concertations ouvertes et publiques, avec les martiniquais, ces deux projets étaient fusionnés en décembre 2007, offrant enfin à la Martinique, pour la première fois, une stratégie de développement pour les prochaines décennies, pensée par nous-mêmes pour nous-mêmes.
Mentionnons encore le « plan départemental de la culture du risque et de la résilience » du Conseil Général (2 juin 2006), le colloque des 11-12 et 13 décembre 2006 sur les changements climatiques (« changement climatique : la Caraïbe en danger ») ; les travaux de cet important colloque concluaient à la mise en place d’un observatoire martiniquais des environnements humains et biophysiques appelé à s’intégrer dans un réseau caribéen. Notons enfin les avancées du Conseil Régional dans le projet Net-Biome sur la biodiversité, les études sur l’énergie marine ou la qualité des eaux souterraines.
On peut, certes, être en désaccord avec tel ou tel aspect de l’Agenda 21 et du SMDE ; on peut souhaiter plus d’audace sur telle ou telle question, mais l’essentiel est là : un sens est donné, une cohérence trouvée, une ambition construite, une marche amorcée…
La Martinique n’a donc pas attendu le Grenelle de l’environnement et le réveil d’un démiurge autoproclamé, pour réfléchir sur la valorisation de la biodiversité et avancer dans le domaine du développement durable et solidaire.
Il faut certes encore hâter le pas, être plus exigeant, montrer plus d’audace, plus de cohérence, plus de cohésion, car rien n’est jamais gagné et il n’y a rien de pire pour l’aventure humaine que les ronflements d’autosatisfaction. Mais on sait désormais qu’il est vain de compter sur le PPM actuel pour aider la Martinique à « germer une tête » bien sienne…
Une « gouvernance » en laisse.
Le concept de « gouvernance » –qui vient du monde de l’entreprise (corporate governance)- fait sans doute tendance. Mais fait-il pour autant sens ? La « gouvernance » appartient à cette catégorie de termes, à la signification floue, dont on use et abuse. Le mot porte en outre les stigmates de son histoire et des projets qui l’ont habité. C’est en effet la nouvelle équipe de la Banque Mondiale, installée par Reagan dans les années 80, qui contribua puissamment à sa théorisation et à sa promotion par la publication d’une série de rapports (L’Afrique subsaharienne : de la crise à une croissance durable » , 1989 ; « Gouvernance et développement « , 1992 ; « Governance, the World perspective », 1994). D’ailleurs au nom de la « bonne gouvernance », le Fond Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale imposèrent aux pays du Tiers-Monde des plans d’ajustement structurel qui achevèrent de désorganiser les Etats et d’affamer les peuples concernés.
L’objectif de la révolution néo-libérale consistait justement à limiter l’intervention de l’Etat, en particulier dans le domaine économique, ne lui laissant que la fonction de garant de la propriété privée et de l’épanouissement des marchés.
Avec la « fin de l’histoire », la « fin de la géographie », ou encore la « fin de l’état nation », la « gouvernance » fait partie du petit bréviaire du néo-libéralisme triomphant de la fin du siècle dernier et du début du nouveau siècle. La crise financière actuelle montre toutes les limites de ces concepts, en particulier à propos du rôle de l’Etat.
La gouvernance néo-libérale, dominante, a été souvent fondée sur la cooptation, les réseaux de proximité idéologique, les marchandages et les perspectives néo-corporatistes. Certes, d’autres acceptions du terme existent, mais dans le meilleur des cas, la gouvernance ne saurait être conçue que comme une démarche visant à repenser la manière de gouverner.
Bien entendu, les modes d’exercice du pouvoir doivent constituer un axe essentiel dans la réflexion et la pratique politiques, même s’il faut préciser que quelques forums bien maîtrisés par une mairie et quelques conseils de quartier où l’on coopte des militants du parti municipal ne constituent pas en soi un exemple de démocratie citoyenne. Cette démocratie citoyenne fondée sur la transparence de l’information, le respect des différences et la souveraineté populaire reste à forger.
Mais comment « gouvernancer » si l’on ne dispose pas des moyens de gouverner ? L’enjeu central de la lutte politique dans une colonie se veut celui du pouvoir politique… Non pas du « pouvoir pour le pouvoir » (Sic), mais du pouvoir comme instrument incontournable d’une ambition pour notre pays se déclinant dans les domaines du développement, de la culture, de l’identité, de l’éducation, du social et dans tous les aspects de la vie de notre peuple.
Césaire avait raison quand il affirmait, lors du IIIe congrès de son parti, le 13 août 1967 –congrès qui d’ailleurs a été présenté comme le testament politique du grand poète et auquel il ne fallait pas changer « une seule virgule » :
« Nous ne pourrons quelque chose pour le salut de notre pays, que le jour où nous aurons réussi à conquérir, en tout ou en partie, le pouvoir politique de notre pays, la Martinique ».
Peut-on être plus explicite ? Quarante ans après, c’est ce même défi qui nous est lancé : la conquête du pouvoir politique comme condition du développement.
Citer Césaire n’est pas s’approprier Césaire, mais simplement rappeler un des fondements de l’éveil des consciences dans notre pays. Césaire, à ce moment là, comme Fanon, avait compris une dialectique simple : la lutte contre le colonialisme n’est pas un petit jeu de faveurs quémandées. C’est une entreprise courageuse, déterminée, pour briser le pouvoir colonial et édifier un pouvoir politique martiniquais.
La « gouvernance écologique » du PPM souffre d’un autre handicap conceptuel –outre celui de ne pas poser clairement l’enjeu majeur du pouvoir politique martiniquais. Elle entretient, en effet, une confusion entre « questions environnementales » et « développement durable ». Les « questions environnementales » représentent un pilier du développement durable mais ne sont pas le développement durable lequel implique une démarche plus globale, transversale. L’amendement du président du PPM évoque certes le développement durable mais ce sont les « questions environnementales » qui fondent le recours à l’article 73-3. L’exposé des motifs de cette initiative parlementaire précise : « les matières exclues du champ de la délégation sont énumérées par l’alinéa 4 de l’article 73. Cette exclusion ne porte pas sur les questions environnementales ».
On comprend donc que les parlementaires aient voté à l’unanimité un amendement qui inscrit ses marges de manœuvre et ses ambitions dans un alinéa qui ne laisse une certaine latitude que sur « les questions environnementales ». L’Etat français –quelque soient les promesses convenues dans la complicité des bureaux- aura tôt fait de rappeler à nos naïfs grandiloquents la juste interprétation des tables de sa loi. Ainsi agissent les maîtres vis-à-vis de ceux qui n’ont foi ni dans leur lutte ni dans leur peuple.
On observe donc, de l’aveu même de ses rédacteurs, que cet amendement n’est qu’un amendement de réserve biologique. C’est là une manière peu ambitieuse « d’écrire les normes du troisième millénaire ». On ne saurait, en effet, raisonnablement, envisager de mettre fin à des siècles d’extraversion économique et de mal développement avec des ustensiles de dînette.
Un si lourd héritage !
Dans une interview, donnée dans Antilla (semaine du 30 octobre au 6 novembre 2008), l’actuel président du PPM reconnaît lui-même ses propres incohérences : « Le 73-3 reste toujours compliqué dans son application » ; « demander une habilitation, c’est une négociation, c’est une discussion, on vous donne ou on ne vous donne pas » (Antilla).
Dans le même entretien, il déclarait pourtant : « Je ne veux pas être méchant, mais je vais être clair : je trouve cela humiliant pour ceux qui demandent et qui n’ont pas de réponse ».
Comment dans ces conditions, organiser une politique de développement durable ?
Et il est contraint d’admettre, toujours dans le même Antilla : « Le nouveau 74, c’est vrai, a un avantage. Il donne un volet des libertés beaucoup plus importantes que le 73. C’est le côté positif. Mais, je le répète, je ne suis ni dans le 73, ni dans le 74, je suis dans un équilibre ». Alors, pourquoi avoir proposé le 73-3, si l’on n’est ni dans un article ni dans l’autre ? Et l’ »équilibre », c’est entre quoi et quoi ?
Voilà ce qui s’appelle trivialement être à la croisée des chemins… Où courir ? Où ne pas courir ? « Pour l’heure, je pense qu’il y a beaucoup de questions, non réglées, avec le 74. Beaucoup de questions… », poursuit le député du centre (Antilla). Beaucoup de questions, certes, comme à chaque fois que l’on doit prendre des décisions importantes ! Mais s’il est légitime de se les poser, il s’avère encore plus urgent d’y répondre, surtout quand –sur le fond- il s’agit de questions posées depuis plusieurs décennies.
Le fondateur du PPM, Aimé CESAIRE, avait pour sa part fixé le cap lorsqu’il martelait dans une allocution prononcée le 22 mars 1968, lors du dixième anniversaire de la création du parti :
« Je le répète : ni la déconcentration, ni la décentralisation administrative, nous disons : l’autonomie, ni plus sans doute, mais ni moins non plus ».
Mais l’héritage semble à l’évidence trop lourd pour l’héritier. Ses déclarations, à propos de l’article 74, révèlent le manque de courage moral, la fuite et le choix d’une stratégie de la peur :
« Il faut être très prudent » ; il faut éviter de proposer une « solution aussi brutale, comme on vient de le faire en proposant le 74″ ; « Il ne faut pas que la Martinique devienne un pays instable, avec des coups de fusils et où l’on s’injurie », déclare encore « l’héritier » (Antilla du 30 octobre au 6 novembre 2008).
C’est lamentable ! On croirait entendre, presque mots pour mots, les ressacs de la propagande du journal de droite, « La vague », contre Césaire, dans les années 70. On retrouve dans ces propos, les mêmes thématiques et rengaines putréfiantes sur l’incapacité des martiniquais à assumer leur destin, à se respecter et à construire leur pays. Que ce type d’arguments ressurgisse, près de quatre décennies plus tard, dans la bouche du principal dirigeant du parti fondé par Césaire, voilà qui nous renseigne sur l’état de décomposition idéologique du PPM !
Trêve donc de billevesées, de gouvernance de réserve botanique et de 73-3 pour sempiternels quémandeurs de permissions coloniales ! A quoi sert-il en effet de se gargariser d’être « les meilleurs spécialistes des affaires martiniquaises » si on n’a pas le courage de commencer à s’occuper effectivement, soi-même, des dites « affaires » ?
Il est désormais plus que temps de hâter la fin de la trop longue saison des velléités… Treize ans après la loi de départementalisation, les événements de décembre 1959, dans le prolongement de toutes les luttes des périodes précédentes, ont ouvert la voie de la revendication d’un pouvoir martiniquais. Depuis, il y eut l’OJAM, la revendication du statut d’autonomie par les partis de la gauche classique, l’émergence et le développement du courant indépendantiste, la grande grève de janvier-février 1974, les batailles du mouvement écologiste, les victoires électorales du camp patriotique.
Un demi-siècle après toutes ces batailles, le PPM, à la tête d’une cohorte de toutes les renonciations, de peurs très anciennes et d’intérêts d’un jour parviendra t-il à saboter la petite autonomie qu’offre l’article 74 ? Ou alors, nous martiniquais, aurons nous la force et la lucidité d’épouser les pulsations du monde en osant enfin un pas vers la liberté ?
Francis CAROLE – Clément CHARPENTIER-TITY