Un « VENDREDI du PALIMA » …scientifique
Le Vendredi 29 septembre 2023, à partir de 18h, nous avons assisté à un double évènement :
La « découverte » de la densité de la recherche scientifique martiniquaise
Le thème proposé pouvait, à première vue, ne pas parler au plus grand nombre et pourtant, le public fut au rendez-vous.
La grande salle, située au 4ème étage de l’hôtel l’Impératrice s’est remplie petit à petit et la retransmission en direct en direct sur facebook du « Vendredi du PALIMA » totalisa plus de 500 vues.
Et devant un public concentré, attentif, durant deux heures d’exposé, Max MONAN, Docteur d’Etat en chimie et Frantz FRANCOIS-AUGRAIN, Ingénieur développèrent successivement les outils de la recherche en Martinique et les conditions à remplir pour un épanouissement dans les années futures.
Nous croyons nécessaire de livrer la quasi-totalité de ces deux interventions.
Aujourd’hui, nous publions l’intervention de Max MONAN, Docteur d’Etat en chimie et chercheur martiniquais.
La rédaction
I) Introduction
Le 15 et 16 septembre 2023, les représentants des 134 pays du G77 (Asie, Afrique, Amérique Latine) se sont réunis à la Havane (CUBA) pour un sommet dit de la science, de la technologie et de l’innovation.
J’ai choisi pour introduire mon exposé de vous lire la résolution 44 de la déclaration finale du sommet, dite déclaration de la Havane : « Nous convenons de demander au président de l’assemblée générale de convoquer, dans le cadre de la quatre-vingtième session de l’assemblée générale des Nations Unies, une réunion de haut niveau sur la science, la technologie et l’innovation, en mettant l’accent en particulier sur les mesures à prendre pour répondre aux besoins des pays en développement dans ces domaines, celui de l’innovation ayant pour terreau la recherche scientifique ».
II) Institutions françaises ou « régionales » (Martinique, Guadeloupe, Guyane)
On peut citer :
– IRD (Institut de recherche pour le développement), sa présence est effective en Martinique depuis 1951. Anciennement ORSTOM jusqu’en 1988, il est présent en Martinique, en Guadeloupe, Guyane depuis 1960. En 2016, l’ensemble des équipes de l’IRD a rejoint le Campus Agro-environnemental Caraïbe régi par le CIRAD (centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement). Depuis 2018, la représentation de l’IRD est assurée par la correspondante CIRAD en Martinique.
Ce premier exemple montre qu’administrativement, il existe des connexions pas toujours évidentes entre diverses structures.
Thèmes de recherche :
Biodiversité et écologie terrestre, Physique des sols et gestion des pollutions chroniques, biodiversités et écologie marine, risques naturels et changement climatique dans les Caraïbes.
– IFREMER au Robert, Pointe Fort (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer). Il a trois principales missions dans le domaine halieutique, connaître, évaluer et prévoir l’évolution des ressources des océans pour une exploitation durable, améliorer les méthodes de surveillance et de protection du milieu marin et côtier, favoriser le développement socio-économique du monde maritime.
En Martinique, il intervient dans l’aquaculture, dans l’étude des ressources marines et de l’environnement littoral.
– INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement). Administrativement situé à Petit-Bourg en Guadeloupe, 12 000 employés sur toute la France. Sa mission est de contribuer au développement d’une agriculture durable de la zone Caraïbe/Amériques tropicales en promouvant des systèmes d’élevage et de productions appropriées.
– BRGM (Bureau de recherche géologique et minière), situé à Pte des Nègres en Martinique. Il concentre ses activités sur les recherches en eau souterraine (quantité et qualité), les risques naturels (mouvement de terrain, littoraux, sismiques, volcaniques), la géologie et l’environnement (recherches sur la dépollution des sols). Il dispose d’archives consultables par le public (?)
– Le PARM (Pôle Agroressources et de Recherche de Martinique) est une institution martiniquaise créée en 2003 par le Conseil régional de Martinique. Son objectif est de contribuer au développement économique de la Martinique et à l’innovation du secteur agro-alimentaire et des bio-ressources. Administrativement, le PARM est un CRT (centre de ressources technologiques). Il a notamment pour objectif d’accompagner le développement de projets innovants de l’idée à la commercialisation. Il dispose d’un hall pour la production, de salles avec du matériel d’analyse et de recherche, des lieux de réunion pour conférence ou pour formation.
– Le CHUM, hôpital Pierre Zobda-Quitman, à Fort-de-France. On entend parler épisodiquement des résultats de travaux sur les effets sur la santé de polluants tels la chloredécone, les émanations de sargasses. C’est actuellement la seule structure en Martinique disposant d’un laboratoire P3 permettant des travaux sécurisés en épidémiologie.
Pour terminer ce paragraphe, on peut donner un éclairage à :
– La FREDON (Fédération régionale de défense contre les organismes nuisibles) située à Croix-Rivail en Martinique. Sa mission est la lutte contre les nuisibles, les rats, les souris, les escargots, cercosporiose. Elle mène l’observation phytosanitaire de l’ïle, établit l’échange entre professionnels et amateurs de jardin et étudie l’impact des méthodes de lutte sur l’environnement.
Précisons que LA FREDON est un organisme technique et non officiellement de recherche, mais par ses expérimentations et ses travaux de terrain, elle peut disposer de données intéressantes.
Dans le même ordre d’idée, on peut citer le CTCS (centre technique de la canne et du sucre) situé à l’habitation Petit-Morne au Lamentin, et le LTA (Laboratoire territorial d’analyse) situé au quartier La Favorite au Lamentin, ces organismes disposant de matériels qui pourraient servir à effectuer des travaux de recherche.
Citons enfin le PNRM( Parc naturel régional de Martinique)
Créé en 1976 il accompagne 32communes de Martinique, siège administratif au boulevard Ste-Catherine F de F.
Deux de ses missions sont :
La valorisation des produits du terroir et la mise en œuvre de travaux scientifiques sur la diversité.
Il dispose de locaux et a accueilli entre autres des chercheures martiniquaises sur un vaste programme Interreg appelé OSAIN (Divinité ou Orisha de la médicine Yoruba) et sur la culture de champignons.
Dans ses objectifs le projet OSAIN indique très clairement le thème recherches scientifiques.
III) Associations de recherche
Un tournant important et pas très favorable a été lors de la transformation du CUAG (Centre Universitaire Antilles-Guyane) en UAG (Université Antilles-Guyane) le transfert de l’enseignement et de la recherche scientifiques en Guadeloupe.
La recherche scientifique universitaire bénéficie d’une autonomie d’action qui peut lui permettre de sélectionner des thèmes de recherche pouvant déboucher sur des applications économiques (recherche appliquée).
C’est dans ce contexte à l’époque des années 1980 que des chercheurs martiniquais ayant soutenu leurs doctorats dans diverses universités extérieures ont été amenés une fois rentrés au pays à créer des associations loi 1901 avec comme objectif la recherche scientifique.
On en cite trois :
– l’ARVARNAM (Association pour la recherche sur la valorisation des ressources naturelles de Martinique)
– BIODIVMA (Biodiversité martiniquaise)
– AVAPLAMAR (Association pour la valorisation des plantes médicinales de Martinique).
L’ ARVARNAM créée en 1985 a pour Présidente Mme Déborah Palmont-Gournay, Docteure en Bio-technologie et Biochimie.
Ses premiers travaux ont été effectués sur la valorisation de l’algue rouge Gracilaria Mamilaris (sea-moss à Ste-Lucie).
Ils ont porté sur la teneur en agar-agar et sur l’optimisation de la culture en race-way (locaux de l’ADEM) et en mer (Baie du Robert).
On peut citer également des essais de méthanisation à partir de déjections de mouton (Vauclin) et des essais de vinification à fermentation contrôlée de fruits tropicaux.
Sous l’impulsion de M. Emmanuel Nossin, ethno-pharmacien, une collaboration active est établie avec TRAMIL (Traditional medecine of islands) qui regroupe un important groupe d’ethno-pharmaciens de la grande Caraïbe ainsi qu’avec divers instituts de recherche de Université de Cuba comme IFAL(Instituto de farmacologia de la Habana).
L’intérêt de l’association s’est alors principalement porté sur l’étude de nos plantes médicinales.
Ceux qui s’intéressent à la recherche scientifique dans notre pays ont certainement remarqué le grand intérêt pour nos plantes aromatiques (PAM) notamment celles qui sont endémiques .Le PARM est fortement impliqué.
Après mon exposé, j’ai proposé à Mr Frantz François-Haugrin, ingénieur CNAM en biochimie alimentaire et membre de l’ARVARNAM de décrire le cheminement d’un projet de l’association arrivé à terme avec un sirop en passe d’être commercialisé.
BIODIVMA (Biodiversité martiniquaise) a pour présidente Mme Stéphanie Morin, docteure en toxicologie.
Elle a pour objet d’améliorer les connaissances et la valorisation des ressources naturelles locales d’origine marine et terrestre.
AVAPLAMAR a pour présidente Mme Roseline Delblond Pharmacienne.
Elle organise des sorties découvertes autour des plantes médicinales.
IV) Recherche universitaire
Comme je l’ai déjà signalé l’enseignement universitaire scientifique a été transféré en Guadeloupe dans les années 1980.
Néanmoins par la suite, il s’est avéré que la Martinique ne pouvait pas être tout à fait dénuée de structures universitaires scientifiques. Avec l’appui du Conseil Départemental de l’époque présidé par M. Claude Lise, un département IUT HSE (Hygiène, sécurité, environnement) et management de la logistique et des transports a vu le jour sur le campus de Schoelcher. Par la suite, a été créé le DSI (Département scientifique inter-facultaire) qui a réintroduit l’enseignement scientifique universitaire en Martinique Actuellement, le DSI est transformé en UFR (Unité de formation et de recherche) Sciences Technologie de l’environnement . Dans la foulée de la création du DSI un certain nombre d’enseignants Martiniquais ont réussi à lui adosser des moyens de recherche. On peut citer M. le Pr René Bravo, Mme la professeure Juliette Smith–Ravin et Mme Odile François-Haugrin. Ces deux dernières ont créé le laboratoire de recherche Biosphères (chimie, biologie), puis l’association Arébio pour la gestion…Biosphères/Arébio.
Biosphères/Arébio a collaboré étroitement dès le départ avec l’ARVARNAM , le PARM, le PNRM, la faculté de médecine de la Havane(Cuba)….
Comme axe principal de recherche, on peut citer l’étude détaillée de plantes aromatiques médicinales (PAM).
À cela s’ajoute le répertoire et l’étude des éponges marines autour de nos côtes , celles-ci possédant des molécules intéressantes dans le domaine de la santé.
Le laboratoire travaille également sur la connaissance et la caractérisation physico-chimique de divers fruits tropicaux dans le but de valoriser certaines molécules et les sous-produits issus de leur transformation. Ces travaux sont réalisés en partenariat avec l’industrie locale, des méthodes enzymatiques pour la fabrication de pur jus de goyave et d’abricot pays intéressant certaines unités de production.
Le domaine énergie renouvelable est abordée par l’étude des ressources géothermiques dans le but de produire de sécurisés l’électricité et du froid en vue de l’autonomie énergétique de la Martinique.
Dans le domaine médical et épidémiologique, des études sont menées sur le cancer, l’hémophilie, la gammapathie monoclonale (pathologie de l’ état pré cancéreux). Avec l’appui de laboratoires français, des chercheurs martiniquais réalisent des tests d’activité in vitro avec des biomolécules naturelles. Pour faciliter ce type de travaux dans notre pays même Biosphères/Arébio a mis en place une unité de thérapie cellulaire, UTCM.
Biophères/Arébio aborde également le domaine des sciences sociales avec comme thème l’étude des individus dans leurs environnements physiques et sociaux pour accompagner les projets de sciences expérimentales.
Il est important de noter que Biosphères/Arébio a permis régulièrement à des doctorants de soutenir avec succès leur PHD (doctorat).
Elodie Drané ( Chimie d’une plante de la pharmacopée locale Goupia glabra), Déborah Palmont-Gournay(Transformation de l’ abricot-pays en pur jus), Julie Cypria(Etude physico-chimique d’une éponge marine d’intérêt médical), Yanis Labeau (Etude approfondie du gisement d’eau chaude de la plaine du Lamentin potentiellement utilisable pour la production de froid), Romain Ferry (inventaire des invertébrés autour des côtes de la Martinique)…
M. Frantz François-Haugrin, ingénieur CNAM a soutenu son mémoire sur les propriétés de la fleur Hibiscus elatus.
Une autre équipe de recherche L3MA (Laboratoire des matériaux et molécules en milieu agressif) a intégré l’ex DSI. Elle est composée d’enseignants originaires du pôle Guyane et est dirigée par le professeur Christophe ROOS.
Son axe de travail est l’étude des phénomènes de corrosion en milieu tropical.
On peut citer :
– Durabilité des matériaux de synthèse évoluant dans un contexte dit agressif, embruns salins (chlorure) et récemment
– sulfure d’hydrogène (émanation des sargasses).
– Substitution des molécules toxiques dans les peintures par des molécules dites vertes.
– Recherche d’inhibiteurs de corrosion naturels issus de la biodiversité tropicale.
La collaboration entre Biosphères/Arébio et L3MA a rapidement tourné court et a abouti au départ de Biosphères/Arébio des labos de l’ex DSI.
Il s’installe actuellement dans les locaux de l’ancien hôpital de Saint-Joseph.
V) Perspectives
Pour clôturer mon intervention, je vais d’abord dire quelques mots sur la ressource naturelle que constitue nos plantes aromatiques et médicinales, PAM.
Les plantes de la pharmacopée traditionnelle de Martinique PTM, contiennent des substances ayant pleine vocation pour soigner les maladies courantes de notre époque telle HTA (Hyper-tension artériel), le diabète, le cholestérol, les maladies virales, l’asthme ou les cancers.
Trouver des traitements pour traiter quatre fléaux dans le monde, cancers, sida, paludisme, alzheimer est fortement recommandé par l’organisation mondiale de la santé.
Comme le font leurs collègues de la Réunion, sous l’impulsion de l’Aplamedom Réunion (Association Plantes Aromatiques et Medicinales des DOM section Réunion) les chercheurs martiniquais devraient pouvoir effectuer l’étude systématique (screening) de nos plantes endémiques estimées à une bonne cinquantaine.
Ce travail est prioritaire et il devrait pouvoir être accéléré.
Sous l’impulsion de M. Emmanuel Nossin, membre de l’ARVARNAM, la CTM a accepté une idée de longue date de l’association de créer un centre de recherche sur la biodiversité en Martinique.
Nommé CTEBIOM, il disposera d’un fort département de Pharmacognosie(Partie de la pharmacie qui s’occupe de l’étude des médicaments tels que la nature les fournit).
Monsieur Frantz François-Haugrin membre du conseil scientifique a accepté de nous donner rapidement quelques précisions.
On ne peut pas terminer ce paragraphe « perspective » sans évoquer le futur ICIN (Institut caribéen d’ imagerie nucléaire) où seront regroupés à la fois un cyclotron, accélérateur de particule qui produira des radio-isotopes servant eux-mêmes à fabriquer des « radiopharmaceutiques » et un TEPScan appareil d’ imagerie médicale qui permet de détecter dans le corps des sites de fixation d’un traceur faiblement radioactif injecté par voie intraveineuse.
En plus du volet diagnostic, il est prévu que l’ICIN soit le centre de travaux de recherche dont on comprend aisément l’importance.
VI) Exemple d’un travail abouti
Biosphères/Arébio et ARVARNAM
-Transformation des fleurs du Mahot Bleu(Hibiscus elatus) par M. Frantz François-Haugrin de ARVARNAM, CNAM.
VII) Présentation du futur CTEBIOM par M. Frantz François-Haugrin de ARVARNAM,CNAM.
VIII) Conclusion
Notre exposé ne peut pas prétendre être exhaustif. Beaucoup d’autres informations sur le sujet pourraient être données, mais on se doit ne pas trop prolonger une intervention.
Néanmoins nous espérons avoir fait comprendre l’importance de la recherche appliquée sur les ressources naturelles du pays et que les chercheurs martiniquais compétents formés dans notre pays ou à l’étranger ne manquent pas pour ce travail.