« Néocolonialisme, Droits Humains, Paix et Sécurité »
Genève-Le 14 décembre 2023
Mesdames et Messieurs,
Le 14 décembre 1960, l’Assemblée Générale des Nations Unies adoptait la Résolution 1514 que l’histoire a retenue sous le nom de « Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux. »
Ce ne fut pas un cadeau des démocraties occidentales. Loin s’en faut ! Le projet de texte fut en réalité porté par le groupe afro-asiatique constitué des pays d’Afrique et d’Asie ayant nouvellement accédé à l’indépendance.
Il n’est d’ailleurs pas sans intérêt de rappeler les résultats du vote de ce mercredi 14 décembre 1960 :
-89 pour,
-0 contre,
-9 abstentions.
Parmi les 9 pays qui se sont abstenus, on retrouve, en particulier, et ce n’est pas un hasard de l’histoire :
-la Belgique (dont le Congo était une possession personnelle du roi des Belges, Léopold II, jusqu’en juin 1960),
-l’Australie (on sait le traitement discriminatoire réservé aux Aborigènes, les premiers habitants d’Australie depuis 60000 ans dont un référendum en date du 14 octobre 2023 a refusé de reconnaître les droits),
-le Portugal (dont l’empire colonial en Afrique s’effondrera dans les années 70), -l’Union Sud Africaine (sous régime d’apartheid de 1948 à 1991),
-les Etats-Unis (que l’on ne présente plus), -Israël (qui, encore aujourd’hui, organise le génocide du peuple palestinien à Gaza)
-et la France, le « pays des droits de l’homme »…qui pille l’Afrique, massacre à Ouvéa, affiche sa complicité avec l’Etat sioniste d’Israël et colonise nos pays.
Permettez-moi, avant de poursuivre et sans y insister outre mesure, de dénoncer la campagne visqueuse et les pressions infâmes organisées par le gouvernement français, par l’intermédiaire d’une presse aux ordres, pour tenter de discréditer les organisations anticolonialistes qui, à Bakou, à New-York ou à Genève entendent dénoncer les crimes coloniaux et faire valoir le droit de leurs peuples à disposer d’eux-mêmes.
Cette campagne ridicule est d’ailleurs relayée par les serviteurs locaux de la France dans nos pays, dont certains pour le moins inattendus…En dépit de ces pressions et de certaines complicités intellectuelles et politiques, nous poursuivrons notre action internationale, avec le soutien de tous ceux qui, sans chercher à nous instrumentaliser, voudront, par solidarité, contribuer à faire respecter nos droits de peuples.
Nous refusons de nous plier docilement à la propagande française sur les pays « fréquentables » ou pas. Notre propre réflexion nous semble plus pertinente que la tendance servile à publier, par esprit revanchard, des articles de « Libération », « La Tribune du Dimanche » ou encore « Marianne » sur ces questions.
Je veux par ailleurs répéter solennellement, ici à Genève, que pas plus que le peuple azerbaïdjanais le peuple français n’est pas notre ennemi.
Nous ne combattons pas le peuple français. Nous combattons l’État colonial français.
Et si, à bien des égards, le peuple français est un grand peuple, force est cependant d’admettre qu’à tous les égards, l’Etat colonial français est un petit État.
Il reste que cette non-prise de position de la France en 1960 est cohérente avec l’idéologie française sur les droits humains que Jules Ferry résumait ainsi, le 28 juillet 1885 :
« La déclaration des droits de l’homme n’avait pas été écrite pour les noirs d’Afrique équatoriale. »Et on pourrait ajouter ni pour les Arabes, ni pour les Indiens, ni pour les non-occidentaux d’une manière générale.
Un proverbe de chez nous dit : « Sèpan chanjé lapo mè sèpan rété sèpan ». Le serpent peut changer de peau mais il restera toujours un serpent. Les empires coloniaux ont changé la forme de leur domination mais ils poursuivent cette domination.
La survivance du colonialisme et du néocolonialisme dans nos pays, le pillage des ressources de l’Afrique et la guerre au Congo, les inégalités et les océans de pauvreté délibérément construits par les grandes puissances pour perpétuer leur hégémonie, les massacres à Gaza au nom d’un prétendu droit d’Israël de « se défendre », toute cette actualité montre que le serpent colonial a changé de peau mais qu’il n’a pas, fondamentalement, changé de nature. Le suprémacisme occidental demeure. Il est peut-être, dans un contexte où il se sent menacé, plus agressif que jamais.
Parler de paix et de sécurité dans le monde nous conduit d’abord à faire le constat que les grandes puissances sont les principaux fauteurs des guerres impérialistes dont la finalité consiste à protéger leurs intérêts économiques et stratégiques au détriment des peuples dominés et de toute éthique.
C’est au nom des « droits de l’homme » blanc occidental, au nom d’une vision hégémoniste du monde, au nom d’un suprémacisme qui n’a aucune honte à s’exhiber, que les droits des peuples à la souveraineté, au développement, au bien-être, à la santé, tout simplement à la dignité et à la vie sont impitoyablement violés.
Notre peuple, le peuple martiniquais n’échappe pas à cette triste réalité. La loi de départementalisation de 1946, qui a permis à la France de faire supprimer la Martinique de la liste des pays à décoloniser en 1947, dissimule mal les plaies du colonialisme le plus vulgaire :
-le mal développement qui structure la dépendance alimentaire, la cherté de la vie, la paupérisation, le départ massif de notre jeunesse;
-l’oppression culturelle qui confine notre langue à un statut subalterne qui, à terme, menace son existence même, et, plus généralement, relègue notre histoire, notre culture au rang de folklore;
-la transformation de notre pays en base militaire, sans aucune consultation de la population ou de ses représentants;
-une justice à deux vitesses qui protège les corrompus et criminalise ceux qui osent s’opposer au système colonial;
-le génocide par substitution et l’empoisonnement de la population au chlordécone.
Contre ce colonialisme anachronique et hypocrite de la France, nous exigeons le droit à l’autodétermination du peuple martiniquais, le droit à l’indépendance de la nation martiniquaise, le droit à la constitution d’un État souverain martiniquais.
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Il n’y a pas de guerre des civilisations comme on voudrait nous le faire croire.
Cette thèse a pour objectif de dresser les peuples les uns contre les autres et de dissimuler les injustices et la violence des hégémonismes. Ce ne sont pas les civilisations qui s’affrontent aujourd’hui entre elles. Ce sont les intérêts d’une minorité qui jettent les peuples dans la sauvagerie des guerres.
Celles et ceux qui nous ont précédés, le 14 décembre 1960, ont ouvert une voie. Celle de la dignité et de la justice. Il nous appartient, avec la plus extrême lucidité, avec courage et détermination, quelle que puisse être l’opacité du moment, d’accomplir notre part de mission jusqu’à l’élimination totale du colonialisme et du néocolonialisme et la libération complète des femmes et des hommes de notre planète.
Nous reprenons à notre compte les paroles prophétiques du penseur de la Renaissance africaine et, en même temps, d’une Renaissance de notre humanité, Cheikh Anta Diop :
« Nous aspirons tous au triomphe de la notion d’espèce humaine dans les esprits et dans les consciences, de sorte
que l’histoire particulière de telle ou telle race s’efface devant celle de l’homme tout court. On n’aura plus alors qu’à décrire, en termes généraux qui ne tiendront plus compte des singularités accidentelles devenues sans intérêt, les étapes significatives de la conquête de la civilisation par l’homme, par l’espèce humaine tout entière. »
Merci de votre précieuse attention.
Francis CAROLE
Président du PALIMA
(Parti pour la Libération de la Martinique)
Genève
Jeudi 14 décembre 2023