Synthèse de l’intervention de Francis CAROLE, lors du congrès des élus départementaux et régionaux du 20 juin 2013, sur une « demande de compétence dans les domaines de la connaissance, de la protection et de la valorisation de l’environnement, des espèces et des espaces naturels.
Chers collègues,
L’intitulé du rapport soumis à notre analyse peut, a priori, séduire par son aspect emphatique : « Demande de compétence dans les domaines de la connaissance, de la protection et de la valorisation de l’environnement, des espèces et des espaces naturels« .
Mais, et sans doute malheureusement, nous sommes vite ramenés aux dimensions pour le moins prosaïques de ce rapport.
En effet, derrière le titre ronflant qui aurait pu susciter quelque naïve espérance, l’audace politique se confine, en réalité, dans de maigres revendications sur la gestion des forêts publiques, forêts départementalo-domaniales et forêts domaniales du littoral. Nous ne sommes pas très loin du grand bond sur place…
Certes, le statut des forêts publiques interpelle, mais le débat sur la biodiversité est bien plus large que la vision timide et partielle qui nous est proposée ici.
Comment la Martinique peut-elle exercer sa souveraineté sur ses ressources génétiques ?
C’est bien à ce niveau que se situe l’enjeu central de la biodiversité pour le futur de notre pays. Et c’est cet enjeu qui est soigneusement éludé par le néo-PPM et « Ensemble pour une Martinique nouvelle ».
UN ENJEU MONDIAL
Cette problématique engage, bien entendu, toute la planète. La course au contrôle de la biodiversité est, aujourd’hui, largement entamée à l’échelle mondiale.
Dans son essence, ce phénomène n’est pas différent de la compétition entre les grandes puissances pour contrôler les sources de matières premières comme le pétrole, le gaz, le cuivre, le cobalt, le niobium ou encore le platine. Les guerres menées en Irak, en Libye, dans le Sahel ou en République Démocratique du Congo sont l’expression des rivalités pour faire main basse sur ces richesses. Certes, ces agressions, diverses dans leurs formes et leurs contextes, prennent prétexte de la lutte pour la démocratie, mais leurs finalités restent économiques et stratégiques.
Ainsi, si 90% des ressources génétiques mondiales se trouvent dans les pays du Sud, 98% des brevets sont entre les mains des pays du Nord ! Ce déséquilibre criant est bien la preuve que le pillage des ressources de la biodiversité par les grandes puissances est largement avancé, en particulier sous l’impulsion des compagnies pharmaceutiques, agro-alimentaires et cosmétiques de l’Europe et des États-Unis.
Cette stratégie de dépossession des pays du Sud a ceci de particulier, contrairement à des ressources comme le pétrole ou le gaz, qu’elle s’accompagne du pillage sans vergogne des savoirs sur la biodiversité accumulés depuis des millénaires par les peuples autochtones d’Afrique, d’Asie, d’Amérique ou encore d’Océanie.
La répartition de la biodiversité sur la planète renforce la compétition impitoyable qui se déroule. En effet, les 34 zones de forte biodiversité répertoriées dans le monde couvrent seulement 1,4% de la surface de la planète. Elles concentrent environ 50% des espèces vertébrées et 35% des plantes connues.
LA MARTINIQUE ET LES ENJEUX DU VIVANT
La Martinique, on le sait, fait partie des 35 « hotspots » identifiés dans le monde par la communauté scientifique pour la richesse de sa biodiversité.
Grâce à ses possessions coloniales, la France est un « pays fournisseur »de biodiversité. Elle dispose, par exemple, d’un espace maritime de 11 millions de km² -40 fois celui de l’hexagone- ce qui en fait la seconde puissance maritime mondiale, au lieu de la 49 ème qui correspondrait davantage à sa réalité géographique.
Selon Olivier GARGOMINY, du Muséum d’histoire naturelle :
« Si l’on ne considère que les espèces endémiques, pour lesquelles il est possible de calculer la diversité totale, il y a globalement 26 fois plus de plantes, 3,5 fois plus de mollusques, plus de 100 fois plus de poissons d’eau douce et 60 fois plus d’oiseaux endémiques en Outre-mer qu’en métropole. »
On pourrait ajouter que 3450 plantes et 380 vertébrés sont strictement endémiques de ce que l’on appelle « l’outre-mer », plus que toute l’Europe continentale. 84% de la biodiversité « française » n’est donc pas française mais polynésienne, guyanaise, guadeloupéenne, kanake, martiniquaise etc…
Chacun aura, au vu de ces chiffres, compris que le débat va bien au-delà des forêts départementalo-domaniales et des forêts du littoral.
Mais il serait trop facile de simplement se gargariser de faire partie des 35 « hotspots » de la planète. Notre responsabilité vis-à-vis de ce patrimoine exceptionnel nous commande aussi de prendre la mesure des risques auxquels il est confronté, du fait principalement de l’intervention de l’homme. Dans un rapport de 2004, la DIREN soulignait la disparition de 11 espèces de vertébrés et des menaces qui planent sur la survie des espèces endémiques, du fait de la dégradation des écosystèmes.
La France -nous devons nous pénétrer de cette évidence- a sa propre stratégie dans la course au contrôle du vivant. Cette stratégie est pensée par elle et pour elle. Pas pour nous ! Il serait sans doute naïf d’exclure que ce ne soit pas aussi contre nous…
Les ressources de la mer constituent la grande oubliée d’un rapport qui prétend prendre en charge « la valorisation des espaces naturels ». Le silence du néo-PPM sur cet aspect essentiel de notre patrimoine naturel est plus profond que les abysses.
La Martinique dispose, en effet, d’une Zone Économique Exclusive (ZEE) bien plus importante que les 1128 km² de terres émergées. Les ZEE sont des zones maritimes, situées jusqu’à 370 km des côtes (200 miles), sur lesquelles les États jouissent de droits souverains pour explorer, gérer, conserver et exploiter les ressources. Les neuf dixième des ressources halieutiques mondiales se trouvent concentrées dans ces espaces.
En l’occurrence, c’est l’Etat français qui a la propriété exclusive des Zones Économiques Exclusives de ses possessions coloniales qui constituent des atouts majeurs dans les domaines stratégiques, environnementaux, scientifiques et économiques.
Consciente de ces enjeux du futur, la France, dès le début des années 90 a mis en place un important programme d’exploration des ZEE, notamment à travers l’IFREMER. Au titre de ses colonies, elle a ratifié, en 1996, la Convention de Montego Bay, signée le 10 décembre 1982 en Jamaïque et entrée en vigueur en 1994.
Au-delà de ces zones placées sous juridiction nationale (française donc pour les colonies françaises) des négociations sont ouvertes pour une « gouvernance de la haute mer » qui représente 60% des surfaces océaniques, fournit la moitié de notre oxygène et jouera un rôle essentiel dans notre alimentation.
LE PROTOCOLE DE NAGOYA ET NOUS
Le protocole de Nagoya, rédigé en octobre 2010, lors de la conférence des parties à la convention sur la diversité biologique, n’a toujours pas été ratifié par la France et l’Union Européenne. Au 30 avril 2013, seuls seize États avaient ratifié ce document. Personne ne s’étonnera qu’il s’agisse de pays du Sud !
On peut aisément comprendre les racines de cette attitude quand on sait que c’est l’Europe qui a inventé la biopiraterie moderne et que de nombreuses multinationales européennes -comme l’OREAL, UNILEVER, MERCK, WELEDA-ont déjà été condamnées en Amérique du Sud pour causes de demandes illégitimes de brevets ou utilisation des ressources naturelles locales sans l’autorisation préalable des populations concernées.
La France et l’Europe défendent donc leurs intérêts de puissances prédatrices de la biodiversité mondiale comme des sources d’énergie et des minerais stratégiques.
Une nouvelle conférence des parties sur la diversité biologique se tiendra en octobre 2014. Nous verrons bien comment les positions évolueront.
Le protocole de Nagoya érige la biopiraterie en objet juridique et met l’accent sur l’Accès et le Partage des Avantages (APA), en matière de biodiversité. Il subordonne l’utilisation des ressources génétiques des pays fournisseurs à trois conditions qui devraient alimenter notre propre réflexion :
– D’abord l’obtention du consentement préalable de ces pays à toute démarche de prospection et de collecte de la ressource sur leur territoire.
– Ensuite, le respect de la règle consistant à verser aux pays fournisseurs, des contreparties pouvant prendre la forme de redevances financières ou de coopération dans les domaines de la recherche et du développement.
– Enfin, l’obligation de réinvestir une partie des bénéfices réalisés dans la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité.
Si ces contraintes du protocole de Nagoya ne mettent pas les pays du Sud fournisseurs de biodiversité totalement à l’abri de la prédation des grandes puissances, elles ont, néanmoins, le mérite de créer un cadre juridique international pouvant contribuer à aider ces nations à mieux contrôler leurs ressources génétiques. Mais, à terme, ce sont les pays fournisseurs, particulièrement ceux du Sud, si souvent spoliés, qui doivent imposer aux utilisateurs les conditions d’accès à leurs ressources génétiques.
Pour ce qui nous concerne, la nature de nos liens avec la France nous exclut du minimum de contrôle que nous devrions exercer sur nos propres ressources. Ainsi, l’Etat français, propriétaire de celles-ci, n’est soumis à aucune obligation de consentement de notre part avant toute démarche de prospection et de collecte. I lakay maman-y ! Il n’est pas, pour les mêmes raisons, davantage soumis aux règles de contreparties ou de réinvestissement d’une partie des bénéfices réalisés grâce à l’exploitation de nos ressources.
Dès les premiers congrès des élus départementaux et régionaux de 2002, la question du contrôle de nos ressources naturelles était clairement posée.
Onze après, on ne peut que constater que les propositions de la dite « nouvelle » mais très timorée « gouvernance » sont en net retrait par rapport aux résolutions alors retenues. Ces dernières exigeaient, en effet, l’intégration dans le patrimoine de la collectivité unique des îlets, des terrains acquis par le conservatoire du littoral et des cours d’eau. La gestion des ressources du sous-sol était aussi réclamée, de même que celle « des diversités biologiques et des biotopes ». La revendication du passage à l’article 74 approfondissait notre démarche de souveraineté sur notre patrimoine naturel.
La nation martiniquaise doit être propriétaire de toutes ses ressources naturelles, celles du sol, du sous-sol et de la mer, afin de mieux assurer son futur. C’est l’ambition collective vers laquelle nous devons tendre, année après année, génération après génération.
AOÛT 2013