Dans France-Antilles du mardi 30 juin 2009, Miguel LAVENTURE adressait au néo-ppm une demande en mariage contre les partisans de l’autonomie : « C’est en fait le constat qu’avec le ppm, nous avons, sur cet objectif immédiat, des positions qui sont conciliables. »
Certes, le courtisé a fabriqué, à la hâte, un « mouvement » « autonomiste » « progressiste » pour donner l’illusion d’une prise de distance et du choix d’une voie propre, une « troisième voie »… Mais sur les routes de la campagne de la peur, le député du centre gambade joyeusement avec les plus farouches adversaires historiques d’Aimé CESAIRE, les Michel RENARD et autre Léon-Laurent VALERE. Bref ! On ne s’épouse donc pas officiellement… Mais, concrètement, dans le cul-de-sac de l’article 73, on fricotte sec, sans s’embarrasser d’inutiles coquetteries.
De « vague » en « vague »
Ceux que Renaud DE GRANDMAISON appelle si caucassement « la nouvelle vague du nouveau siècle » (Réflexions militantes – Juin 2009) ont ainsi conduit le Parti Progressiste Martiniquais, fondé par Aimé CESAIRE, dans une impasse historique. Pour des raisons essentiellement politiciennes –sans doute aggravées par un éléphantiasis de l’ego- les « héritiers » n’ont cessé de s’opposer à tout petit pas qui pouvait être initié par les assemblées martiniquaises. Cette tendance, déjà perceptible à l’occasion de la consultation de décembre 2003, s’est accentuée, surtout après la création du Rassemblement Démocratique Martiniquais du docteur LISE.
- Dans un premier temps, pour tenter de contrecarrer le Schéma Martiniquais de Développement Economique (SMDE) et l’Agenda 2, le néo-ppm opposa un « statut dérogatoire écologique » (amendement à l’article 1 du projet de mise en œuvre du Grenelle de l’environnement). Cette « gouvernance écologique », conçue précipitamment dans le cercle fermé des amis du député, ne pouvait se prévaloir ni de la richesse du SMDE et de l’Agenda 21, ni de la procédure démocratique qui présidèrent à leur élaboration.
En définitive, cet amendement, censé écrire « les normes du troisième millénaire » (FA du mercredi 22 octobre 2008), vécut ce que vivent les gadgets politiques : L’espace d’un cillement médiatique.
- A la veille de l’adoption, par le congrès des élus départementaux et régionaux de décembre 2008, du principe d’une évolution statutaire dans le cadre de l’article 74, une véritable campagne de confusion et de peur fut déclenchée par le néo-ppm et se poursuit encore aujourd’hui : « Solution brutale » se plaignait le président de ce parti qui ajoutait « il ne faut pas que la Martinique devienne un pays instable avec des coups de fusils et où l’on s’injurie » (Antilla du 30 octobre au 6 novembre 2008). Même ton dans le « Progressiste » du 17 juin 2009, avec en sus une rare dose de hargne non contenue : « (…) ambitions de pouvoirs personnels d’individus sans scrupules n’hésitant pas à entraîner le peuple martiniquais dans le malheur et l’aventure ». Quant à la motion du « Groupe des Progressistes et Démocrates » au congrès des élus du 18 juin 2009, elle s’inscrit dans la même stratégie peu glorieuse : « aventure mal préparée », « lourd handicap » peut-on y lire. Le vocabulaire politique du nouveau ppm s’articule donc autour du champ lexical de la catastrophe et de la peur.
Pour retrouver pareil univers fantasmagorique dans la littérature politique, le lecteur courageux devra accepter de remonter aux années 70, quand le journal de droite « La Vague » s’acharnait sur Aimé CESAIRE et son « séparatisme » prétendu. La peur, savamment distillée.
Cette position sur l’article 74 interpelle d’autant qu’il n’aura pas échappé à l’observateur, même distrait, que, lors du congrès des élus de décembre 2008, le président du nouveau ppm proposa d’amender la résolution présentée par MARIE-JEANNE et LISE stipulant que la Martinique « évolue dans le cadre d’un régime législatif fondé sur l’article 74 de la Constitution qui permet l’accès à l’autonomie » par la formule « fondé sur les principes de l’article 74 ». Qu’y-a-t-il dans l’écriture du 74 que l’on ne trouverait pas dans les « principes de l’article 74 » ? Ce mystère semble au moins aussi opaque que l’origine des bruits venant de la mer qu’entendaient à certaines heures les habitants du Prêcheur. Il met en tout cas en évidence des incohérences politiques manifestes.
- Enfin, à l’annonce de la consultation du 10 janvier prochain, le néo-ppm appelle à voter « non » à l’article 74, à la grande surprise d’ailleurs de certains progressistes qui n’avaient pas encore compris la véritable nature des affairistes qui dirigent aujourd’hui le parti de CESAIRE.
Le maire de Fort-de-France qui ironisait si (ba)lourdement sur la prétendue « loterie » du 73 et du 74 a donc choisi son numéro de loto : Le 73 du statu quo. Ce n’était donc pas la peine de faire autant de bruit et de vagues…
Petite recette pour l’autonomie facile
Au bout de cette folle course au « koubaraj », quelle alternative proposent finalement nos fins stratèges ? D’abord sans sourciller, ils entendent :
« Obtenir » (« demandez, on vous donnera. Frappez, on vous ouvrira ») « par le biais de la loi organique » (Tiens donc ! Le retour du Chat’ an sak !) « régissant la collectivité unique, le droit à l’expérimentation et une habilitation pour légiférer sur une période de 6 ans ».
Ensuite (parce que, Mesdames et Messieurs, le numéro de prestidigitation se poursuit), « négocier avec l’Etat la modification de la Constitution pour un changement de statut… » (Immense éclat de rire dans la foule qui en redemande : Encore ! Encore !).
C’est d’une simplicité tellement savoureuse et enfantine que l’on peut légitimement se demander pourquoi d’autres n’y ont pas pensé avant et comment le brillant Aimé CESAIRE lui-même a pu se débattre un demi-siècle entier pour l’autonomie… en pure perte !
Signalons, en passant, d’abord que les néo-ppm confessent implicitement être redevables aux porteurs de l’article 74 qui ont pris l’initiative des congrès de décembre 2008 et de juin 2009 ouvrant ainsi la porte à la consultation des 10 et 24 janvier prochains et donc à la préparation d’une loi organique.
Ainsi, par une contorsion sophistique dont ils ont seuls les secrets, les voilà qui découvrent les vertus de la « loi organique » (naguère symbole honni du chat’ en sak) ! Première transmutation donc de la fanfaronnade en opportunisme, cette loi organique est devenue maintenant leur pierre philosophale. Le chat’ en sak s’est donc transmuté en tigre royal.
Mais soyons indulgent et passons à l’analyse de la démarche elle-même… En cas d’éventuel échec du 74 le 10 janvier, la question qui sera posée le 24 portera sur la constitution d’une assemblée unique, dans le cadre de l’article 73 et donc de l’identité législative : « Approuvez-vous la création en Martinique d’une collectivité unique exerçant les compétences dévolues au département et à la région tout en demeurant régie par l’article 73 de la constitution ? » Rien de plus. Nulle trace d’une troisième, quatrième ou cinquième voie !
Dans ces conditions, au nom de quelle légitimité politique et démocratique nos fins stratèges pourront-ils « négocier » avec l’Etat français pour « obtenir » « le droit de légiférer » ? Sur la base de quelles compétences (discutées par qui et où ?) vont-ils demander à « légiférer » ? Au nom de qui vont-ils « négocier » ?
En réalité les néo-ppm ne disposeraient d’aucune légitimité. Ni la légitimité des assemblées locales (congrès), ni celle de la consultation du 20 janvier –si elle à lieu.
En conséquence l’Etat serait –dans ce cas de figure- en position de force écrasante, maître absolu du contenu de la loi organique, en face d’une représentation martiniquaise divisée, sans projet commun et sans légitimité démocratique.
Si, par contre, au soir du 10 janvier 2010, comme nous l’espérons, le peuple martiniquais se prononce en faveur de l’article 74, nous jouirons d’une double légitimité : celle d’abord d’un projet précis, discuté devant tous les Martiniquais, adopté par le congrès puis par les assemblées et exposé à nouveau au peuple pendant la campagne ; celle ensuite née de l’approbation démocratique du peuple martiniquais, par le biais des urnes, sur une question très claire : « Approuvez-vous la transformation de la Martinique en une collectivité d’outre-mer régie par l’article 74 de la constitution, dotée d’une organisation particulière tenant compte de ses intérêts propres au sein de la République ? »
Cette configuration-là donnerait à la Martinique une plus grande crédibilité et un poids incontestable dans les négociations avec l’Etat au moment de l’élaboration de la loi organique.
L’autonomie « constitutionnelle » : cache-sexe du statu quo
Prétendre « négocier avec l’Etat la modification de la Constitution pour un changement de statut » relève de la même accumulation d’incertitudes, d’incohérences et de fanfaronnades, le tout apprêté dans une épaisse sauce de naïveté et de mauvaise foi.
Certes, l’on se souvient que dans son discours à l’aéroport le président français a déjà clairement indiqué qu’il n’entendait pas « modifier la Constitution ». Mais, plus fondamentalement sans doute, pour les raisons que nous avons développées plus haut, les néo-ppm ne pourront se prévaloir d’aucune légitimité pour négocier quoi que ce soit. Attendre le retour des socialistes français au pouvoir reviendrait à se livrer à un exercice politique périlleux : konté zé en tchou poul… La députée de Guyane, Christiane TAUBIRA l’a bien compris et a décidé de soutenir la campagne en faveur de l’article 74 dans son pays. Un front rassemblant, sans exclusive, toute la gauche et même des fractions de la droite s’est ainsi constitué le 5 novembre, à Cayenne.
D’autre part, dans notre environnement géographique immédiat, la donne politique est en train de changer rapidement : Saint-Martin et Saint-Barthélémy ont accédé à l’article 74. Tous les observateurs s’accordent à dire qu’il en sera de même pour la Guyane, au soir du 10 janvier 2010. Quant à la Guadeloupe, tout porte à penser qu’elle suivra un itinéraire marqué par la prégnance du LKP et que la lutte populaire qui y est engagée débouchera plus ou moins rapidement sur un changement de statut.
Les contours de ce changement de statut dépendront du rapport de force que le LKP aura su créer dans la rue et de sa capacité à offrir au peuple guadeloupéen une alternative globale. Le Lyannaj Kont Pwofitasyon appelle inévitablement un lyannaj pour une Guadeloupe nouvelle.
Face à l’Etat français, la Martinique se retrouverait donc isolée dans ses revendications institutionnelles. Dans cette hypothèse, pour obtenir de véritables compétences, il ne resterait plus que l’épreuve de force physique avec l’Etat français, comme ce fut le cas en Nouvelle-Calédonie. Rappelons, à toutes fins utiles, que ce fut au prix d’une longue insurrection populaire avec son cortège de sacrifices et de morts. L’insurrection du peuple Kanak permit néanmoins d’aboutir aux accords de Matignon, le 26 juin 1988, qui furent approuvés par un référendum, à l’échelle de toute la France (6 novembre 1988). Un second accord (les accords de Nouméa) fut signé dix ans plus tard, le 5 mai 1998. Mais quelqu’un imagine t-il sérieusement « le maire de la ville-capitale » et ses mentors frileux dans la posture d’un Eloi MACHORRO et des combattants corses ? La simple évocation de cette fiction ferait l’arc des Caraïbes se tordre de rire…
Enfin –et certainement plus grave- la campagne actuellement menée par le néo-ppm contre l’article 74, dans le sillage et avec l’aide de la droite et des békés, risque d’avoir un effet désastreux sur les consciences, de désarmer idéologiquement notre peuple et de faire le lit d’une nouvelle idéologie assimilationniste qui immobiliserait le pays pour des décennies, alors même que nous sommes en besoin d’alternatives politiques urgentes à la crise du système départementale. On ne saurait donc, par pusillanimité, renvoyer à demain ce qui s’impose aujourd’hui. Ja ka ta é dèmen sé an kouyon. Le néo-ppm, on le voit, sert de locomotive au retour de la droite et favorise objectivement l’aggravation des maux qui affectent notre pays.
L’ultime trouvaille pour tenter de donner consistance à ce qui n’est qu’une opération politicienne, et une vraie renonciation à l’autonomie, est le concept d’ « autonomie constitutionnelle » -consubstantiel de la « modification de la constitution »- qui se voudrait l’authentique Saint Graal, c’est-à-dire « l’autonomie césairienne ».
Celles et ceux qui ont étudié les écrits de l’auteur du « Discours sur le colonialisme » savent qu’à aucun moment il n’a conceptualisé une « autonomie césairienne » ou une « autonomie constitutionnelle » qui se trouverait à hauteur inverse d’une « autonomie » dite « conventionnelle ». Il s’agit là d’une supercherie intellectuelle délibérée. Pour reprendre une expression de Renaud DE GRANDMAISON (qu’il nous pardonne d’abuser encore de sa prose), CESAIRE n’a jamais considéré le statut comme « un smoking dont on se pare pour se rendre à une réception ou je ne sais quelle manifestation d’apparat » (Réflexions militantes – Juin 2009).
A l’évidence, la direction actuelle du ppm subordonne le principe de responsabilité (déjà très partielle dans le cadre de l’article 74) à l’inscription dans la constitution d’une « garantie » du « droit à l’égalité ». Sur cette question précise, même un mauvais juriste a compris que ce droit n’est pas menacé dans le cadre de l’article 74 et des compétences demandées par les élus du congrès…
Persister donc à faire dépendre l’autonomie d’une modification de la Constitution française relève d’une logique qui soumet le progrès de notre peuple à la bonne volonté de l’Etat français. C’est renvoyer l’autonomie à la saison des coqs à dents.
Francis CAROLE
Clément CHARPENTIER-TITY