Il fut un temps où chaque passage de ministres déclenchait un flux de génuflexions et une symphonie de délicieuse satisfaction générale. C’était jour de rite en colonie. Le missi dominici était en tournée d’inspection ; il fallait, en effet, « expliquer » aux sujets que, de la « métropole », on avait pensé à tout pour eux, que le bonheur allait venir et que, dans l’attente, il convenait de rester tranquille. Et les sujets, après les courbettes d’usage, entamaient une litanie qui commençait par « bienvenu Monsieur le Ministre » et se terminait invariablement par « merci, Monsieur le Ministre… ». C’était un rituel pitoyable qui remplissait de satisfaction « Monsieur le Ministre… ». Ainsi allaient les choses, alors…
La journée du 15 juillet 2008 marque, peut-être, le début de la fin de cette triste époque. Les élus martiniquais et guadeloupéens ainsi que des socioprofessionnels représentatifs de leurs secteurs, en femmes et hommes libres, se sont dressés pour dire qu’un projet les concernant au premier chef ne pouvait leur être imposé sans discussions suffisantes.
Cette attitude de simple dignité et de bon sens évident a plongé le Secrétaire d’Etat français dans un profond état de confusion mentale, révélant par la même occasion son arrogance grotesque et l’abysse de son insignifiance intellectuelle.
Certes, il s’est trouvé quelques élus, maires et sous-maires, et quelques socioprofessionnels, pour aller s’asseoir au pied du missi dominici, avec force feuilles de corossol et demandes d’excuses pour ceux qui avaient osé se comporter si mal… Mais l’histoire va son chemin, emportant dans sa course et l’illusoire et le dérisoire…
On pourra opposer à l’initiative du Front Commun Martinique-Guadeloupe que le Conseil des Ministres du lundi 28 juillet n’a pas suivi sa proposition de différer la présentation de la loi afin de favoriser l’approfondissement des discussions entre Martiniquais, Guadeloupéens, Guyanais d’un côté et Gouvernement français de l’autre.
Mais, quant au fond, l’adoption de ce texte, pompeusement baptisé Loi de Développement Economique pour l’Outre Mer, importe peu du point de vue du sens et de la portée de la confrontation qui vient de se dérouler et se poursuivra sans doute.
Ce que la journée du 15 juillet montre d’essentiel, c’est que nos peuples ne veulent plus être dirigés comme des sous-hommes à qui l’on commande de prendre ce qu’on leur donne et de « fermer leur gueule » pour le reste.
C’est la vieille gouvernance coloniale méprisante et bornée qui se voit ainsi rejetée. C’est aussi le droit de penser notre développement et de décider nous-mêmes pour nous-mêmes qui est proclamé.
Celles et ceux qui ne sont pas atteints par le syndrome de la mangeoire savent que le développement n’a jamais été affaire exclusive de gros sous mais surtout affaire de conscience, de mobilisation, de travail, d’intelligence. On ne développe ni à coups de canon ni à coup de diktats et encore moins par négation de ceux au nom desquels on prétend vouloir développer le pays.
D’ailleurs, le colonisateur cherche t-il vraiment à développer les colonies qui du même coup cesseraient d’être pour lui des marchés (dans un contexte mondial tendu), des zones qui font de lui une des toutes premières puissances maritimes mondiales et des bases stratégiques toujours utiles ? Une petite puissance en faillite peut-elle renoncer à ces avantages ?
Ainsi, la réunion commune du Conseil Général et du Conseil Régional le 18 décembre 2007, dont l’objet consistait à élaborer un projet martiniquais global sur la base de l’Agenda 21 et du Schéma Martiniquais de Développement Economique, prend toute son importance aujourd’hui, quelles que soient les limites qu’on pourrait lui trouver.
L’attitude pusillanime de l’actuel Président du PPM qui avait, avec la collaboration de l’UMP de MONPLAISIR, tenté, par de multiples stratagèmes, d’organiser le sabotage de cette rencontre entre Martiniquais sur la question centrale du développement, a ouvert une voie royale au Gouvernement de SARKOZY pour imposer sa Zone Franche Globale d’Activités et contrecarrer l’initiative martiniquaise. La position du PPM, alors, et sa volonté de jeter à tout prix le discrédit sur une démarche pourtant conforme aux intérêts martiniquais servaient objectivement la stratégie de l’Etat français. Dans les instances du Conseil Général, les représentants de ce parti ont d’ailleurs défendu, avec la suffisance –et les insuffisances- qu’on leur connaît, les thèses du Gouvernement, même s’ils se sont, à l’ultime seconde, ralliés à la motion du Front Commun.
La leçon d’ALIKER – »Les spécialistes des questions martiniquaises, ce sont les Martiniquais »- tarde manifestement à être comprise et mise en acte par ceux-là mêmes qui auraient dû y être les plus réceptifs ; leur conscience politique est malheureusement noyée dans les « eaux glacées » des ambitions personnelles.
Il appartient aux femmes et aux hommes de notre pays, par un effort de lucidité et de courage, d’opérer aujourd’hui les vrais choix politiques dans la lutte pour un véritable développement et un pouvoir martiniquais avec comme seule boussole l’intérêt commun.
Francis CAROLE Clément CHARPENTIER-TITY