Par Francis CAROLE
La propagande selon laquelle des puissances étrangères seraient à l’œuvre pour « déstabiliser » les gentilles colonies françaises n’est ni bien nouvelle ni bien sérieuse. À défaut de faits réels, elle est souvent alimentée par des fakenews diffusées par l’État français lui-même.
Il s’agit d’une arme de manipulation, plutôt grotesque, qui a toujours été utilisée contre les mouvements de libération nationale.
L’évocation de l’ingérence, c’est-à-dire des « manœuvres agressives de l’ennemi », relègue le colonisé au rang de non-acteur dans ses propres affaires. Il n’est qu’un objet aux mains des uns et des autres, incapable de penser et d’agir par lui-même et pour lui-même. C’est définitivement un sous homme placé hors de l’Histoire. « L’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire », disait fièrement Sarkozy au Sénégal.
Cette vision est l’expression même du racialisme blanc qui a déterminé l’esclavage et la colonisation et continue, encore aujourd’hui, quoique de plus en plus battue en brèche, à orienter la marche du monde.
Cette ruse primaire sert à diviser les colonisés et à tenter de rassembler la « nation française » derrière l’État, dans un réflexe de défense des soi-disants « intérêts supérieurs du pays », lequel serait menacé par une agression imaginaire dans ses colonies. « Aux armes citoyens » !
Elle a aussi une visée internationale et diplomatique consistant à déformer la nature de nos revendications et à emprisonner celles-ci dans des enjeux qui ne concernent au premier chef que les stratégies et intérêts de la France.
La même technique est d’ailleurs utilisée pour préparer l’opinion française contre une chimérique « invasion de l’Europe par la Russie en 2028 ». Mais la vraie menace viendra-t-elle plutôt de l’Ouest, d’un Trump qui n’a aucune limite et dont la menace d’annexer le Groenland a suscité le mutisme affligeant de l’Union Européenne et du maître de l’Elysée, pourtant si prompt à dispenser au monde entier des leçons sur la démocratie.
Ainsi, à des étapes différentes des combats anticolonialistes, et selon les espaces géographiques considérés, les épouvantails de l’URSS, de la Chine, de la Libye, de Cuba et maintenant de l’Azerbaïdjan ont été agités.
Les partisans du colonialisme, mais aussi des intellectuels aigris, des petits bonimenteurs en mal de reconnaissance et une presse aux ordres de l’État contribuent à amplifier le mythe de l’ingérence étrangère.
En réalité, c’est le colonialisme qui crée l’anticolonialisme. C’est la violence coloniale qui génère la violence des opprimés. C’est le colonialisme qui crée les conditions de l’affrontement avec les peuples colonisés.
Le processus de décolonisation se veut donc un face-à-face quasi exclusif entre le colonisé et le colonisateur. Ce face-à-face, qui est la manifestation des contradictions naturelles et inévitables entre les deux protagonistes, existe indépendamment de toute autre considération.
C’est donc cette contradiction qui est posée et à résoudre aujourd’hui.
Lorsque les mignons de l’Elysée, les Attal, Valls ou Barrot se réveillent en sursaut au lendemain de la création du FID à Nouméa, pour bailler un communiqué prétendant dénoncer de fumeuses « opérations d’ingérence et de déstabilisation », ils ne font que du dilatoire et reconnaissent, de fait, qu’ils ne sont pas à hauteur d’Histoire.
En effet, le recours au discours sur « l’ingérence étrangère » relève d’abord du déni de la situation coloniale et de l’impuissance politique du colonisateur. Cette impuissance, au sens de l’appréhension correcte du moment historique et de la manière d’y faire face, le condamne à l’immobilisme ou au retour en arrière.
Cette indigence de l’intelligence historique a conduit au putsch des généraux français à Alger le 21 avril 1961 ou encore…à la tentative de Macron de dégeler le corps électoral en Kanaky, en 2024. Dans les deux cas, à Nouméa comme à Alger, une foule de fanatiques décérébrés, petits blancs arrogants et ignorants ou autres, avaient éclaté d’un immense et pathétique bonheur. On sait aujourd’hui ce qu’il advint de l’Algérie qui devait rester éternellement française, au nom du père et du fils et du Saint-Esprit… Faut-il dire « Amen » ?
Tout en dénonçant les ruses du discours colonial sur l’ingérence étrangère et ses fondements idéologiques, tout en restant libres du choix de leurs relations diplomatiques, les mouvements de libération doivent, tactiquement, tenir compte des stratégies internes et internationales du colonialisme pour les déjouer et faire triompher leurs luttes.
De ce point de vue, le projet de congrès constitutif du Front International de Décolonisation à Nouméa, l’élaboration de ses documents fondateurs, l’adoption unanime du principe « d’indépendance à l’égard de tout État ou groupe de pression », tout cela participe de la volonté de nos mouvements de confirmer, sans ambiguïtés, sans compromis, qu’ils sont bien, les auteurs et acteurs de leur propre combat pour la souveraineté nationale. Les solidarités avec nos luttes ne pourront se construire que sur la base de ce principe-socle de l’indépendance de notre Front.
Francis CAROLE
PARIS
Mercredi 29 janvier 2025