Par Francis CAROLE
Le président du conseil exécutif de la CTM a, récemment, parmi plusieurs autres mesures, annoncé un projet de suppression de l’octroi de mer et de l’octroi de mer régional sur 54 familles de produits dits « de première nécessité ». C’est en réalité à l’Assemblée de Martinique -une assemblée godillot, nous en convenons-que reviendra, formellement en tout cas, la décision d’adopter ou pas cette disposition expérimentale qui devrait coûter 5,9 millions d’euros par an. Le président de la Chambre de Commerce et d’industrie, lui, chiffre cet effort fiscal à 13 millions d’euros annuellement. Plus du double des prévisions de la CTM…
Rappelons tout de même que la vie chère ne se confine pas aux seuls produits alimentaires.
Ainsi, nombre de familles modestes consacrent l’essentiel de leurs dépenses aux loyers, à l’eau et à l’électricité…au détriment de l’alimentation. De ce point de vue, les politiques mises en œuvre dans le secteur du logement social méritent d’être pour le moins revues. Plus largement, le racket des puissances d’argent s’exerce dans tous les domaines de la vie des Martiniquais.
L’exonération de l’octroi de mer est-elle la bonne mesure ?
Une propagande intense, ces dernières années, a tenté d’enfoncer dans la tête de nos compatriotes que c’est l’octroi de mer qui serait responsable de la cherté de la vie. On sait que cette thèse est largement inexacte. Les superprofits et les marges exorbitantes réalisés par la grande distribution sont la
marque d’un système qui vise, structurellement, à tirer le maximum de profit des consommateurs martiniquais. Les mêmes techniques de pwofitasyon s’observent dans les prix absolument scandaleux des billets d’avion.
L’État français a toujours cautionné et alimenté ce système. Il y a objectivement intérêt. On ne peut donc compter sur lui pour le briser. Au contraire ! La caste békée constitue l’alliée la plus sûre du colonialisme français. Si l’octroi de mer -qui sert à répondre aux besoins de notre pays et des communes, au profit de notre population – s’élevait à 348 millions d’euros en 2023, la TVA -qui va dans les caisses de l’Etat- était, à la même période, de 854 millions d’euros ! Plus du double de l’octroi de mer !
L’exonération de l’octroi de mer sur 54 familles de produits risque, comme on a pu le noter en 2009, de ne pas être répercutée sur les prix à la consommation, renforçant ainsi, paradoxalement, les marges de profit de la grande distribution.
D’autre part, une telle mesure encouragerait le gouvernement français à poursuivre sa stratégie de suppression de l’octroi de mer et sa transformation en TVA nationale pour consolider le budget d’un État dont la dette publique s’élève aujourd’hui à plus de 3000 milliards d’euros.
La remise en question de la prime de vie chère (autour 1,5 milliard d’euros) entre dans le même calcul budgétaire prédateur de Bercy.
La suppression de l’octroi de mer et de la prime de vie chère viendrait achever la politique de précarisation de notre pays qui est déjà bien engagée avec la baisse des dotations étatiques, la révision des allègements fiscaux ou encore la discrimination systémique à l’égard de nos collectivités.
Au-delà de la cherté de la vie, l’impossibilité pour notre population de se nourrir correctement et d’être en bonne santé s’explique en grande partie par la misère sociale, les bas salaires, les minima sociaux, les retraites misérables qui constituent une insulte à la condition humaine.
C’est pourquoi la lutte pour l’augmentation des revenus est aussi importante et ne saurait être passée sous silence si l’on veut vraiment obtenir, de manière durable, l’amélioration du pouvoir d’achat du plus grand nombre.
Celles et ceux qui, depuis l’abolition de l’esclavage, s’épuisent à courir après le mythe de « l’ égalité réelle » ou de « la solidarité nationale » se trompent de perspective historique.
À bien des égards, les techniques économiques et financières de la France à l’égard de ses colonies ressemblent à s’y méprendre à celles mises en œuvre dans les anciennes colonies africaines pour précariser à l’extrême les sociétés concernées, opprimer les populations, amplifier les profits au bénéfice de la « métropole » et briser objectivement toute volonté de développement national profitable au peuple.
Est-ce un hasard absolu que nos pays se retrouvent sous la coupe de l’Agence Française de Développement, chargée de la coopération internationale de la France et placée sous la double tutelle du ministère des finances et du ministère des affaires étrangères ?
C’est cette précarisation, voulue par l’État, qui alimente toutes les dérives sociales, la violence, le trafic de drogue (aux ramifications parfois inattendues) la marginalisation de pans entiers de notre population et le départ massif des jeunes Martiniquais en France.
Sauf à vouloir transformer la Martinique en vaste hypermarché où les enseignes françaises rivaliseraient en concours de promotions sur le cadavre de toute production locale et de toute autonomie fiscale, la revendication d’aligner les prix en Martinique sur les prix en France comporte de nombreuses limites…voire des risques de dissolution de notre pays dans la France.
La question de la vie chère pose fondamentalement le problème de l’extrême dépendance, méticuleusement organisée, de notre pays, non seulement dans le domaine de l’alimentation mais aussi dans tous les aspects du quotidien de la population martiniquaise.
Ainsi, 80% des produits consommés sont importés et, en 2023, le déficit commercial atteignait plus de 3 milliards d’euros.
On ne saurait en conséquence détacher la bataille des prix de la situation de misère de notre pays, des bas revenus et des politiques structurelles coloniales. Celles-ci utilisent nos pays comme des variables d’ajustement de la crise financière française et les maintiennent délibérément dans un état de mal-développement.
Même si les luttes liées aux contraintes du quotidien doivent être légitimement menées, elles gagneraient à s’inscrire dans une perspective claire et explicite de souveraineté alimentaire et de décolonisation, sinon elles s’enliseront rapidement dans les sables mouvants de l’illusion de l’égalité « réelle »avec la France.
La victoire dans la bataille de haute nécessité qui englobe les bas revenus, la vie chère, la santé, la préservation de nos terres, la souveraineté alimentaire, la construction d’un nouveau modèle économique et nos droits fondamentaux de peuple ne sera obtenue que par la plus large unité des forces authentiques d’émancipation pour faire face au colonialisme français, à ses ruses, à ses manipulations médiatiques et à sa violence.
Francis CAROLE
MARTINIQUE
Mardi 17 septembre 2024