Par Francis CAROLE
Certaines bonnes âmes, au nom des très saintes « valeurs démocratiques », se sont indignées des coups d’État qui, au Mali, en Guinée, au Burkina Faso et au Niger, ont conduit à l’instauration de pouvoirs militaires de transition.
Qu’il soit clair que nous ne sommes pas, pour ce qui nous concerne, des admirateurs dénués de sens critique de ce que l’occident appelle des « putschs », avec les rictus d’indignation et le flot de bave rageuse que l’on imagine sans effort ! Un coup d’œil sur les 60 dernières années montrerait pourtant que les mêmes donneurs de leçons ont été les plus grands organisateurs de putschs de la planète, en Amérique latine, dans les Caraïbes ou encore en Afrique.
Mais le concept même de « démocratie » appliquée aux pays évoqués plus haut et, plus généralement, aux colonies de la FrançAfrique, ne constitue qu’un leurre pour nigauds. Il ne s’agit que d’un des nombreux instruments de propagande idéologique de l’impérialisme français pour à la fois embastiller l’esprit des colonisés, manipuler sa propre opinion publique et se parer sur le plan international d’un pseudo-vernis démocratique.
DES « DÉMOCRATIES » DE PROPAGANDE AU SERVICE D’UNE DICTATURE IMPÉRIALISTE ET RACIALISTE
Il n’existe donc pas de système politique démocratique en FrançAfrique mais bien une dictature coloniale prédatrice et parasite dont la finalité consiste à assurer le développement et le rayonnement de la France en maintenant délibérément les masses africaines dans le sous-développement.
Ce système racialiste, au service des seuls intérêts français, prive les nations africaines concernées de ce qui constitue l’essence même d’un système démocratique : le droit des peuples à décider librement de leur futur, de la désignation de leurs dirigeants, de l’utilisation de leurs ressources, sur la base de leurs intérêts politiques, stratégiques, économiques, sociaux, humains, culturels…
En effet, le carcan brutal et infamant du colonialisme a été remplacé par les chaînes, à peine plus subtiles mais tout aussi infamantes et insupportables, de la dépendance économique, de l’arrimage de la monnaie de ces pays au Trésor français par le mécanisme du CFA, de l’accès préférentiel des entreprises françaises à leurs ressources naturelles, de leur alignement sur les votes français dans les instances internationales, des interventions militaires systématiques de la France ou de l’assassinat de leaders africains lucides chaque fois que les intérêts français sont contestés.
Dans cet environnement de violence, d’assassinats ciblés, de prédation, de misère, d’humiliation des peuples, de corruption, organisées depuis des décennies, de façon continue, par l’État français, il ne peut y avoir de « système démocratique », pas plus qu’on aurait pu imaginer un État démocratique français à Vichy, sous la férule des nazis.
LA VOIE MILITAIRE COMME MOYEN DE DÉCHOUKAJ DES RÉGIMES NÉOCOLONIAUX ?
Il en ressort que le seul chemin vers une véritable démocratie, vers un pouvoir des peuples africains pour les peuples africains, consiste d’abord à briser les chaînes de l’esclavage néocolonial et néolibéral. Donc à écraser la FrançAfrique et tous ses suppôts locaux.
Les peuples des anciennes colonies françaises d’Afrique savent par expérience que les élections ne garantissent pas la voie de leur libération et de leur progrès. D’abord parce que le système est vicié et que les régimes au service de la France s’appuient sur la violence, la manipulation, la division, la corruption et la fraude pour se maintenir au pouvoir et garantir la sauvegarde des intérêts français.
Une caricature de « bourgeoisie » (en réalité une verrue noire grotesque de la bourgeoisie capitaliste française) qui n’a de « nationale » que le nom (elle est, à dire vrai, blanche et néo-française idéologiquement) cautionne et entretient cette monstruosité politique. Elle a pour représentants des personnages comme Alassane Ouatara ou autre Macky Sall lequel n’a retenu de la tragédie des jeunes Africains, utilisés comme chair à canon dans les affres des guerres mondiales, que les « desserts servis aux soldats sénégalais » par la France…
Le massacre, en décembre 1944, à Thiaroye, à Dakar, par le pouvoir colonial, des tirailleurs sénégalais, anciens prisonniers de la seconde guerre mondiale, fait-il aussi partie des « desserts » qui ont marqué la mémoire de Macky Sall ?
D’autre part, chaque fois que des leaders progressistes ont été portés au pouvoir par les urnes, ils ont été renversés ou assassinés avec la complicité des gouvernements français, souvent en utilisant les militaires qu’ils avaient formés. Il en est ainsi, à titre d’illustration, de :
-Sylvanise Olympio en 1963, au Togo, lors du coup d’État fomenté par Gnassinbé Éyadéma;
-François Tombalbaye, premier chef d’Etat tchadien, en 1975;
-Marien N’Gouabi, président du Congo, en 1977…
L’instrumentalisation de la justice au Sénégal pour dissoudre arbitrairement le PASTEF et écarter le chef de l’opposition, Ousmane Sonko, de la course aux prochaines élections présidentielles fait partie de l’attirail politique mis en œuvre pour maintenir au pouvoir les roitelets du néocolonialisme français.
Où donc réside la démocratie dans l’enfer néocolonial, même fagoté d’un multipartisme d’apparat ?
L’état d’esprit des classes dirigeantes françaises n’a pas changé à travers les siècles. Jadis elles prétendaient apporter la « Civilisation » en massacrant à tour de bras. Aujourd’hui, elles continuent de tuer et de piller, en se gargarisant de vouloir défendre la « Démocratie ».
Il ne peut y avoir de démocratie sans souveraineté. L’État de droit est en effet fondé sur la souveraineté du peuple. Cette souveraineté ne peut s’exercer quand elle est captive d’une puissance étrangère.
L’IMPORTANCE CAPITALE DU PROJET POLITIQUE, DE LA VISION DÉMOCRATIQUE ET DE LA MOBILISATION DES MASSES CONSCIENTES
Dans un tel contexte, le coup d’État militaire n’est pas plus anti-démocratique que des élections truquées. Si les principes généraux restent toujours indispensables, il n’y a cependant pas de recettes de prise du pouvoir. Ce sont souvent les conditions concrètes des luttes, la réalité des rapports de force sur le terrain, l’état d’esprit des masses et l’ensemble des conjonctures de l’histoire à un moment précis, en un point précis, qui rendent possibles les changements.
Comme on a pu l’observer en Amérique centrale et du sud, l’institution militaire, dont la fonction première est de servir les oligarchies latino-américaines ou les régimes néocoloniaux en Afrique, est, paradoxalement, la seule force capable de renverser les pouvoirs au service des impérialismes. À l’instar de l’action de Hugo Chavez au Vénézuéla, le « militarisme révolutionnaire » peut constituer une alternative de prise de pouvoir permettant d’initier un changement de société.
Dès lors la question qui se pose, au-delà du bla-bla-bla sur les « valeurs démocratiques » vues par l’impérialisme, est bien celle du projet politique porté par les militaires et de sa mise en œuvre.
De ce point de vue, la rupture radicale avec tous les liens néocoloniaux (politiques, économiques, monétaires, militaires et culturelles), la mise en place d’une stratégie -partagée avec le peuple- visant au développement indépendant des pays africains sous domination française et répondant aux besoins de la population doivent constituer les normes incontournables des régimes militaires de transition s’ils ne veulent pas trahir les aspirations populaires.
Des rapports respectueux doivent être entretenus avec le peuple, la jeunesse et les femmes, dans la perspective de construire des institutions véritablement démocratiques et émancipatrices. Enfin, l’exemplarité des dirigeant.e.s et la lutte contre la corruption seront des critères déterminants quant à l’appréciation de la nature de ces pouvoirs. Ce fut l’entreprise audacieuse à laquelle s’est consacré corps et âme Thomas Sankara entre 1983 et 1987.
Il existe sans doute aujourd’hui un contexte favorable à une nouvelle étape dans le processus d’émancipation nationale et sociale des anciennes colonies françaises. Les peuples et la jeunesse ont partout exprimé ces dernières années un sentiment très net de rejet de la domination néocoloniale. D’autre part, les rapports de puissances sont en train de changer au plan mondial et la France, en dépit de ses rodomontades, devient un acteur de plus en plus secondaire sur l’échiquier international. Certes, la question de « djihadisme» dans le Sahel -problème qui touche d’ailleurs une bonne partie de l’Afrique-pose des défis particuliers aux régimes de transition. L’avenir dépendra en définitive de la capacité de ces gouvernements à mener une politique cohérente en s’appuyant sur la mobilisation de leurs peuples.
C’est à travers cette lutte contre le néocolonialisme et le néolibéralisme que se créeront les véritables valeurs démocratiques africaines et un environnement politique et économique propice à l’épanouissement des femmes et des hommes.
Francis CAROLE
MARTINIQUE
Mardi 22 août 2023