LE DIMANCHE 23 AVRIL 2023
« À quand le prochain Lakou PALIMA ? » fut la question spontanée de beaucoup parmi ceux qui ont assisté à cette manifestation dont le débat portait sur la problématique alimentaire en Martinique.
En effet, dans notre pays, « an lakou », c’est un endroit où l’on se rencontre, où l’on se parle, où l’on échange.
Et c’est dans cet esprit d’ouverture, avec un objectif constructif que le premier « Lakou PALIMA » fut lancé…
Ce dimanche 23 avril, dès 6 h du matin, des militants du PALIMA étaient à pied d’œuvre, s’affairant dans le marché agricole et artisanal du Gros-Morne :
– Décor somptueux fait de compositions florales majestueuses et de ballons aux couleurs du drapeau rouge, vert, noir, bien agencés à l’entrée comme à l’intérieur du marché.
– « Vide-grenier », « Boutik PALIMA » dressés et banderoles accrochées.
– Drapeau rouge-vert-noir (symbolisant la lutte pour la libération de la Martinique) déployé.
Très tôt, la sono et les chaises mises à disposition du « Lakou PALIMA » par la municipalité du Gros-Morne étaient opérationnelles.
Peu avant l’ouverture de la manifestation prévue à 8 h, une animation musicale variée était d’ores et déjà proposée par Jean-Luc, tandis que les stands « Emmanuelle Maré tèt » et « OBASI, bijoux d’Afrique » s’installaient.
« LAKOU PALIMA » té pé démaré !
De nombreuses personnes parcoururent les différents stands dans une ambiance conviviale.
A 10H30, la conférence-débat sous forme de « regards croisés » débuta devant un public venu en nombre (plus de 200 personnes) avec comme thème« quel avenir pour la nation martiniquaise ? la question alimentaire en débat », avec, dans un premier temps, les interventions successives de Gilbert COUTURIER, maire du Gros-Morne, et de Francis CAROLE, président du PALIMA.
– Gilbert COUTURIER signala d’abord l’importance du sujet traité et l’engagement de la municipalité du Gros-Morne dans le développement agricole.
« an bwa Kayiman sanblé jodi-a, isiya GwoMòn » déclara G. COUTURIER, signifiant d’emblée que ce « Lakou PALIMA » aurait forcément des suites engageantes et concrètes.
Il précisa en outre qu’un élu martiniquais n’est pas élu pour servir de « courroie de transmission » au pouvoir français, mais pour servir notre peuple.
Il ajouta que depuis 2014, une politique agricole était mise en œuvre au Gros-Morne. Selon lui, L’urgence est de voir comment nourrir la population « Pa atann anlè bato moun, anlè avion moun ».
Et pour terminer, G. COUTURIER nous informa qu’au Gros-Morne, plusieurs personnes avaient décidé de mettre leur terre à disposition afin d’impulser la politique agricole de la commune.
– Ce fut au tour de Francis CAROLE, président du PALIMA d’intervenir.
Il adressa ses remerciements, au maire du Gros-Morne qui a spontanément répondu favorablement à la demande du PALIMA, aux délégations des différents partis appartenant au Gran Sanblé Pou Matinik, aux délégations de l’ASSAUPAMAR et d’ORGAPÉYI, et à toutes celles et à tous ceux qui avaient fait le déplacement.
Il introduisit son propos ainsi : « le premier cri de la conscience décoloniale a été poussé par un enfant du Gros-Morne, René MÉNIL en juin 1932, philosophe, membre du parti communiste Martiniquais et co-auteur du manifeste « légitime défense ».
Le décor était planté pour fustiger la politique néolibérale d’exploitation des travailleurs, le pillage à travers le monde au profit de minorités.
F. CAROLE ajouta que dans notre pays, où manifestement un processus d’émancipation nationale est en cours, des domaines comme la santé, la nourriture ne peuvent rester entre les mains du colonisateur.
Il précisa que dans cette phase, tous les fronts de lutte (syndical, électoral, mouvements de masse…) étaient nécessaires, impliquant par là-même une cohésion entre eux pour aller de l’avant.
Il encouragea particulièrement le camp des anticolonialistes à ne pas céder à des divisions factices ; « L’État français aura beau jeu dans un pays où nous serons devenus minoritaires » déclara-t-il faisant ainsi allusion au « génocide par substitution » qui nous menaçait.
Pour F. CAROLE, afin de faire face au pillage économique, au pillage foncier, et aux dangers précédemment cités, l’unité de tous ceux qui étaient prêts à défendre les intérêts du peuple Martiniquais, devenait une exigence.
« Le débat politique et idéologique est nécessaire, mais il ne peut empêcher l’unité sur des questions aussi essentielles que celle du chloredécone, ou encore celle de la souveraineté alimentaire où nous nous devons de prendre l’initiative » conclut-il.
Après ces deux premières interventions, les deux organisations invitées, l’ASSAUPAMAR et ORGAPÉYI apportèrent leurs contributions.
– L’ASSAUPAMAR était représentée à la tribune par Alain BILLARD.
En premier lieu, il tint à préciser les différentes notions en cette matière afin qu’elles ne soient pas galvaudées ; ainsi après avoir défini les concepts d’autosuffisance, de sécurité ou de souveraineté alimentaire, il posa cette question : « Est-ce toujours possible ?»
A. BILLARD ajouta qu’un pays responsable devait être capable de couvrir en grande partie les besoins de sa population.
Il précisa que 80% des besoins alimentaires de la Martinique viennent de l’extérieur nous plongeant dans une dépendance extrême qu’il s’agira de réduire.
Il posa le constat que les meilleures terres étaient toujours entre les mains des descendants de colons qui font de la culture essentiellement spéculative, et contrôlent l’import/export avec la complicité de l’État français.
De plus, selon l’ASSAUPAMAR représentée par A. BILLARD, des centaines d’hectares sont déclassées en dépit du SAR et beaucoup de terres sont empoisonnées au chloredécone ; On assiste à la pollution accélérée de nos mangroves, de nos forêts, de nos rivières. Et il posa publiquement cette interrogation : « Comment certains élus pouvaient parler de « souveraineté alimentaire » alors que dans les faits ceux-ci participent à sa destruction ?»
Il prit l’exemple de la baie du Marin qui offrait la possibilité d’élevage de poissons en eau sauvage, et qui a été soumise depuis de nombreuses années à d’autres choix comme la mise en place d’une marina.
Il évoqua sous forme de question la nécessité d’une souveraineté politique afin de rendre possible la souveraineté alimentaire.
En conclusion, il dit que l’ASSAUPAMAR était favorable à la souveraineté alimentaire de notre pays, mais que cet objectif dépendait d’une part, de la volonté des élus, d’autre part, de la volonté de la population.
– Ce fut au tour de Paul NELSON d’ORGAPÉYI de prendre la parole. Il brossa en quelques mots, l’histoire de l’agriculture en Martinique et les choix qui l’ont en grande partie fourvoyée.
Dans les années 50, 60, 70 les marchés des communes étaient bien ravitaillés ; « ils permettaient à la Martinique de vivre » affirmait-il.
« Les gens avaient des poules, des moutons, des bœufs et nous nous contentions de cela ».
Pour lui, la production était de qualité et jouait par conséquent un grand rôle dans notre santé. Avant 1980, poursuivit P. NELSON, les communes disposaient chacune de leur abattoir, pour regretter ensuite la disparition de nombreuses activités.
Il précisa qu’à cette époque, la majeure partie des produits venant de France se résumait à la farine de France, les lentilles, les pois rouges, les pommes de terre, la morue, les sardines, le cornbeef..
Il évoqua également le choix des békés favorisant le passage de la canne à la banane, expliquant ainsi la fermeture des usines à sucre, les supermarchés qui se sont multipliés et l’empoisonnement des sols sous l’impulsion des mêmes.
« De janvier à décembre, nous pouvons produire et aujourd’hui, c’est la France qui nous donne à manger » déclara P. NELSON.
Pour parvenir à l’autosuffisance alimentaire, un certain nombre de surfaces mécanisables serait nécessaire, et il évoqua l’urgence d’une réforme foncière et d’emprunter le chemin de l’autodétermination ; il partait du constat que les békés, propriétaires terriens, représentant 1 à 2% de la population, détenaient 80% des terres, contrôlaient l’import/export.
« Nous dépendons des békés ; ils ont la clé du pays dans leurs mains ! » asséna-t-il
– Et pour terminer le cycle d’interventions, Gilles JEAN-BAPTISTE du PALIMA livra son analyse et ses préconisations.
Selon lui, la question alimentaire est intimement liée à la question de la nation et à la question de la santé.
G. JEAN-BAPTISTE aborda l’utilisation de « l’arme alimentaire » par les colonialistes à différentes phases de notre histoire, (ex : An tan Robè) avec comme objectif d’hystériser tout débat à propos d’un changement politique notable en Martinique.
Il appela à se défaire de ces peurs et fit référence au poème de Gilbert GRATIANT qui ironise à propos d’un individu qui a peur de tout.
D’autre part, G. JEAN-BAPTISTE affirma que la question de la santé et du bien-être devaient être notre boussole afin d’organiser la production et de développer les solidarités.
La santé devrait être le socle de notre réflexion ; « la recherche d’un complet bien-être physique, mental, et social est un objectif à atteindre ».
Selon lui, la question des besoins devra être la base afin de bâtir un plan de production, une stratégie au niveau national.
Prendre en compte les différences de besoins alimentaires selon les âges et tenir compte de la pyramide des âges de notre pays, sont indispensables afin d’orienter la production.
G. JEAN-BAPTISTE indiqua que cette nouvelle politique devait associer médecins, nutritionnistes, jeunes formés dans la production de repas au « goût du jour ».
Il assura que le génie créatif de nos agriculteurs, accompagnés par les agronomes, les techniciens pourront relever le défi.
Bien entendu, ce défi peut être relevé non seulement par les exploitants agricoles qui devraient pouvoir vivre de leur profession, mais également par tout un chacun.
Selon G. JEAN-BAPTISTE, on peut produire à plusieurs niveaux :
« Ça existait avant ; ça peut encore se reconstruire ».
Il aborda des maux qui touchent une bonne partie de la population comme l’obésité, l’hypertension ou encore le diabète et le problème de la précarité, car toute politique alimentaire pertinente devra répondre à cette situation.
Après avoir dit quelques mots à propos de son expérience au sein de la SOCOPMA dans sa période audacieuse (10 000 tonnes de fruits et légumes à l’année, livraisons régulières dans les commerces, les cantines…,une année de stock…), « Nou pa té pè sé bétjé-a » afin de démontrer l’étendue des possibles, il appela à changer de modèle économique, à ne pas attendre sur le colonisateur, à employer les nouvelles technologies (« géolocalisation », « applications numériques ») afin de répondre avec succès à cette exigence.
Après ces interventions riches et pertinentes, commença un débat avec le public, débat fait de questions, d’analyses et de témoignages.
Le « Lakou PALIMA » répondait à un besoin vu le nombreux public présent au Gros-Morne (plus de 200 personnes) et les 800 personnes qui y ont assisté en direct sur Facebook.
Il est sûr que le « Lakou PALIMA » a soulevé l’espoir de reprendre l’initiative, et d’opérer collectivement les changements souhaités.
La rédaction.