Par Francis CAROLE
Il y a seulement quelques jours, « Renaissance », le groupe parlementaire soutenant Emmanuel Macron, déclarait mettre en place une “task force” pour combattre le Rassemblement National. La récente déclaration aussi tonitruante que visqueuse de Bruno Lemaire, ministre de l’économie, sur la « fraude sociale » et l’immigration, montre plutôt la volonté de reprendre les thèses de l’extrême droite pour diviser les travailleurs et faire diversion dans le contexte de la crise sociale et démocratique en cours :
“Ils (les Français) n’ont aucune envie de voir que les personnes peuvent bénéficier d’aides, les renvoyer au Maghreb ou ailleurs, alors qu’ils n’y ont pas droit. Ce n’est pas fait pour ça, le modèle social…”
Dans le plus pur style de Jean-Marie puis de Marine Le Pen ainsi que de l’inénarrable Zemmour, les populations immigrées sont accusées d’être les responsables du “trou” de la sécurité sociale et -pourquoi pas tant qu’on y est ?-du “déclin de la France”.
Ce discours pestilentiel n’est pas nouveau. Lemaire racle sans vergogne tous les vieux fonds d’égouts puants de l’extrême- droite française et européenne. Ainsi, les immigré.e.s, non-content.e.s de préparer un fantasmatique « grand remplacement », seraient les dangereux profiteurs du système social français.
Mais, puisque l’on parle d’escroqueries, Bruno Lemaire serait peut-être bien mieux inspiré de nous révéler les profits monumentaux réalisés par la France grâce au franc CFA, au pillage des richesses du continent africain, aux dizaines de milliards détournées chaque année par les multinationales à travers des flux financiers illicites ou encore à l’exploitation de la main-d’oeuvre immigrée. Combien tout cela rapporte à la France, sur le dos de l’Afrique et des Africain.e.s, du Maghreb et des Maghrébin.e.s, au détriment du progrès de ces parties du monde ?
Les voleurs ne sont pas là où on veut le faire croire. Bruno Lemaire, en tant que grand argentier de l’Etat français, le sait mieux que quiconque.
D’autre part, à propos de la “fraude sociale », l’extrême-droite et ses porteurs d’encensoirs de LR et du gouvernement Macron, annoncent les chiffres les plus volontairement tronqués: 40 milliards par an vomissait Zemmour, au début de la campagne de la présidentielle en 2022 ! 50 milliards se hasardent d’autres ! Qui dit mieux à la foire à la démagogie et à l’avilissement ?
En réalité, la Caisse Nationale des Allocations Familiales (CNAF), elle-même, évaluait cette fraude à 2,3 milliards d’euros en 2018 (sur un budget de la protection sociale globale de 834 milliards par an). Ce phénomène se concentrait principalement sur le RSA, la prime d’activité et les aides au logement. La Cour des Comptes précisait que “les prestations familiales étaient moins touchées”. En 2019, 1 milliard d’euros de “préjudices subis et évités” étaient repérés par les principaux organismes sociaux. “Capital” du 23 février 2022, écrivait que “les pouvoirs publics ont détecté plus de 1,5 milliard d’euros de fraude sociale en 2022”.
Nous sommes donc à des années lumières des éructations sur les dizaines de milliards d’euros de “‘fraude sociale” annoncées par les pėquenauds de la biosphère fascisante ! Se fondant sur un rapport de juin 2021 de la Cnaf, “ATD Quart Monde” pouvait conclure avec une rare pertinence : “La fraude des pauvres est une pauvre fraude”.
Quel rôle monsieur Bruno Lemaire veut-il donc faire jouer aux immigré.e.s dans cette “pauvre fraude” qui concerne des dispositifs qui intéressent l’ensemble des français.es et pas seulement les “personnes” du “Maghreb ou d’ailleurs” ?
Si les pauvres et les immigré.e.s sont harcelé.e.s par le gouvernement (loi sur les retraites, chasse à la “fraude sociale”, campagnes anti.immigré.e.s…) les véritables fraudeurs quant à eux sévissent tranquillement et créent des difficultés autrement plus graves aux finances de la France. En effet, le Syndicat Solidaires Finances situe la fraude et l’évasion fiscales à plus de 100 milliards d’euros par an…contre les 1 à 2,3 milliards de « fraude sociale” !
À l’évidence, la posture du ministre de l’économie est essentiellement idéologique. Elle s’inscrit dans une stratégie globale du parti présidentiel qui reprend les éléments de langage et de programme de l’extrême-droite, par exemple sur l’immigration et l’ordre. Le discours du ministre de l’économie fait ainsi écho aux manœuvres du ministre de l’intérieur, Darmanin, qui réprime sauvagement les manifestations populaires et prépare une loi sur l’immigration qui, au vu de certaines annonces, pourrait ne pas déplaire à l’extrême-droite.
Enfin, quand certaines voix parlent des « immigré.e.s » les populations des derniers confettis de l’empire devraient tendre l’oreille : n’ont-elles pas été un temps accusées d’être « Les danseuses de la France » ?
Francis CAROLE
MARTINIQUE
Jeudi 19 avril 2023