Le moins que l’on puisse conclure c’est que la diplomatie française bat de l’aile. En tournée en Afrique au mois de mars, Emmanuel Macron s’ était déjà, à plusieurs reprises, fait remonter les bretelles par des présidents de plus en plus agacés par l’arrogance des responsables politiques français qui se sont souvent illustrés par des déclarations fantaisistes comme “l’homme africain” qui ne serait “pas encore entré dans l’histoire”.
La visite d’État du président de la république française en Chine, en compagnie de la présidente de la commission européenne, madame Von Der Leyen, ne semble pas avoir rencontré davantage de succès.
Surestimant comme à l’accoutumée le poids international de la France, le locataire de l’Élysée, en plus des accords commerciaux, entendait faire pression sur la Chine pour que celle-ci consente à “ramener la Russie à la raison”. Mais la période des Guerres de l’opium (1839-1842 et 1856-1860) et du dépeçage de la Chine par la France et l’Europe est révolue.
La Chine n’est plus encline à se laisser dicter sa conduite par des puissances européennes déclinantes et de plus en plus dépendantes économiquement de l’Empire du Milieu. Les Chinois -sans être dans de sempiternels et vains gémissements- n’oublient pas pour autant l’histoire de leurs relations avec la France au 19 ème siècle et aux débuts du 20 ème siècle : les traités inégaux (Nankin, Whanpoa etc…), la cession sous la contrainte du Tonkin en 1885, l’occupation du territoire de Kouang-Tchéou-Wan, dans le sud de la Chine, à partir de 1898 jusqu’en 1945…
D’autre part, en dépit de leurs contradictions régionales, la Russie et la Chine entretiennent des relations bien plus solides et profondes que ne saurait l’admettre Emmanuel Macron. Les deux pays, avec d’autres partenaires, ont fondé depuis 2001 l’Organisation de Coopération de Shangaï (OCS). Leurs échanges commerciaux ont augmenté de plus de 34% en 2022, atteignant 190 milliards de dollars. La vente du pétrole et du gaz russes à la Chine, à des prix préférentiels, a connu un bond remarquable. Des exercices militaires sont régulièrement organisés entre les deux pays. La visite officielle chinoise à Moscou en mars dernier n’a fait que consolider cette alliance autour d’intérêts communs objectifs face à l’Occident.
A l’évidence, Emmanuel Macron ne pouvait que repartir bredouille. Ne s’était-il pas publiquement engagé à faire de la guerre en Ukraine le thème central de ses entretiens avec Xi Jinping ? Son discours sur le rôle de “puissance d’équilibre” de la France ne convainc personne. La France est une puissance de l’OTAN alliée des États-Unis. En cas de guerre sur la question de Taïwan, Biden et Macron, partenaires dans la région indopacifique, se retrouveront ensemble contre la Chine.
Tout en restant dans une stratégie soyeuse et en offrant le thé à son invité, à Canton, le président chinois a royalement ignoré les prétentions de son interlocuteur. De même, la Chine a fait peu de cas des menaces de Von Der Leyen sur le fait qu’ “armer l’agresseur irait à l’encontre des lois internationales” et “nuirait significativement à notre relation”. Xi Jinping a simplement répondu que “la situation en Ukraine est complexe” et qu’il “n’y a pas de perspectives de règlement politique.”
L’Occident est resté oxydé dans une vision du monde qui date de la fin du vingtième siècle. Il pense être encore ce qu’il n’est plus depuis des décennies. Il n’est plus au centre de l’ordre du monde. Il n’a plus les moyens d’imposer ses vues à la planète, ni par la violence, ni par le chantage économique, ni par les perfidies de sa diplomatie, pour la simple raison qu’il a perdu son monopole économique et sa toute puissance militaire. D’autres puissances ont émergé et le monde s’organise sur d’autres bases avec les BRICS et le processus de dédollarisation de l’économie mondiale. Le “droit international”, à géométrie aussi variable que docile aux intérêts des puissances occidentales, est fortement contesté.
Il va toujours mieux en le disant : la description de ces rapports de forces et l’analyse des motivations des acteurs concernés ne valent pas adhésion à leur idéologie et à leur stratégie. Nous analysons des dynamiques. Ainsi décrypter la montée en puissance de la Chine ne signifie pas -sauf pour dès cerveaux tordus-que l’on soit pro-chinois.
Il reste que le monde est désormais entré dans une période de soubresauts profonds, à la fois économiques, politiques et géo-stratégiques. Ces mouvements ne s’opéreront pas sans fracas et sans guerres. Les compétitions économiques classiques, exacerbées par le réchauffement climatique et les bouleversements systémiques qu’il entraîne déjà, risquent de marginaliser de plus en plus l’Europe face à des géants comme la Chine, aujourd’hui et, demain, l’Inde. Si l’Europe persiste à penser qu’elle est le centre du monde, son réveil sera douloureux.
Notre Caraïbe et notre pays sont concernés par ces changements. Toute réorganisation des rapports de forces à l’échelle mondiale impliquera inéluctablement tous les continents et tous les peuples. C’est pourquoi, au-delà du discours actuel sur un “monde multipolaire”, il faut penser à un monde dépolarisé où les relations entre nations seraient régies par la justice, le respect mutuel et la solidarité. Les projets impériaux, d’où qu’ils viennent, parce qu’ils sont profiteurs, sont, par essence même, voués, à plus ou moins long terme, à l’échec. Si cette vision peut sembler utopique aujourd’hui, elle est la seule à correspondre à une étape supérieure de la civilisation humaine. La raison et l’intérêt de notre espèce finiront par l’emporter sur la force brute et les calculs médiocres.
Francis CAROLE
MARTINIQUE
Samedi 8 avril 2023.