DISCOURS DE FRANCIS CAROLE AU 2ème CONGRÈS DES ÉLUS DÉPARTEMENTAUX ET RÉGIONAUX DE MARTINIQUE
(20 FÉVRIER 2002)
Les Mercredi 20, jeudi 21, samedi 23 février et le lundi 4 mars 2002 se tenait le second Congrès des élus départementaux et régionaux de la Martinique. Ce Congrès, co-présidé par Claude LISE, alors à la tête du Conseil Général et Alfred MARIE-JEANNE, président du Conseil Régional, se déroula à l’hôtel du département. C’est dans ce contexte, le mercredi 20 février, au tout début des travaux, qu’intervint le discours cité en objet.
Cette intervention pose, pour la première fois de notre histoire, dans une instance politique majeure, la question essentielle de la reconnaissance de l’existence d’une Nation et d’un Peuple martiniquais. En même temps, elle indique une démarche démocratique visant à associer étroitement les Martiniquaises et Martiniquais aux changements qui s’imposent dans notre pays. Cette volonté consistant à rendre notre peuple auteur et acteur des évolutions politiques de notre Nation constitue une des idées socles du PALIMA.
« Monsieur le président,
Chers collègues,
Martiniquais et Martiniquaises,
Depuis plusieurs mois, un débat important est engagé autour de mutations politiques locales nécessaires, si nous voulons véritablement développer ce pays, le nôtre , et prendre en main notre destin.
Ce débat constitue le prolongement d’un demi-siècle de discussions autour de l’avenir de la Martinique, depuis les événements de décembre 1959 et la création de l’OJ AM (Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste de la Martinique ), au tout début des années 1960. Ce qui est en jeu, ce ne sont pas les ambitions politiques de tel ou tel individu, de tel ou tel groupe politique. L’enjeu est de savoir qui nous sommes, où nous voulons aller, quels rapports nous voulons entretenir au monde et comment nous pouvons et devons assumer nos ambitions collectives de peuple.
Il est vrai que des groupes de pression se sont agités ces derniers temps pour distiller les vieux poncifs de la sclérose politique, réveiller les peurs antédiluviennes et tenter de dicter aux élus, de manière péremptoire, ce qu’ils devaient penser et jusqu’où ils devaient penser.
D’autres se sont livrés à de véritables déclarations de guerre et, puisqu’il faut un peu de folklore, nous avons même assisté, dans une salle du Gros-Morne, à l’apparition d’un « général » prétendant soulever, je cite, « l’armée qui écrasera les indépendantistes ». L’auteur de ces propos excessifs n’est sans doute, et tout le monde l’aura compris, ni le premier ni le dernier « général » d’une armée morte, de celles qui, en dépit de leurs prétentions, ne parviennent jamais à détruire les aspirations des peuples.
Je voudrais néanmoins appeler solennellement les uns et les autres à plus de pondération dans leurs propos, à plus de maitrise de soi, à un sens plus aigu des responsabilités publiques… Bref ! À une plus plus grande tenue politique, compte tenu de l’importance des enjeux. Pour notre part, nous n’avons l’ambition d’écraser personne. Nous voulons convaincre et, autant que possible, construire ensemble. Il est cependant nécessaire de rappeler que celui qui sème le vent récolte fatalement la tempête…
Que dire en outre des revirements de position auxquels notre peuple, étonné et plus souvent dégoûté, a assisté ces derniers mois ? Celui qui, hier, le torse bombé, votait la Déclaration de Basse-Terre -qui réclame explicitement une région autonome- est le même qui, aujourd’hui, dans un meeting pré-électoral, brandi sans aucune gêne un retentissant « non à l’autonomie !»… Amnésie ? Schizophrénie ? Ou, plus prosaïquement, inconstance et inconsistance politique ?
Il existe dans notre pays un profond désir d’informations sur le débat politique en cours; désir récupéré de manière éhontée par certains. Dès la première réunion du Congrès, je déclarais, au nom du PALIMA, qu’il nous fallait absolument associer le peuple martiniquais à l’élaboration de notre projet. L’associer à travers des forums citoyens qui permettraient d’expliquer, de recueillir les avis de toutes et de tous. Cette stratégie participative doit aussi englober les associations sportives, les associations de femmes, de jeunes, de personnes du troisième âge, les syndicats ainsi que les partis non représentés dans l’une ou l’autre des deux assemblées. Cette démarche est indispensable car notre légitimité nous la tirons de notre peuple et seulement de notre peuple.
Le débat doit être sans fard et sans masque.
À notre avis, l’objet principal de ces discussions politiques, sans être exclusif, devrait être celui du pouvoir Martiniquais et de l’émancipation de notre peuple.
Nous constituons, en effet, un peuple, c’est-à-dire une communauté de femmes et d’hommes fondée sur des apports divers, venus d’Amérique, d’Afrique, d’Europe, d’Asie et ayant constitué racines sur un territoire clairement identifié, dans la Caraïbe. Nous avons une culture qui n’est pas la culture française. Nous avons des mœurs, une langue, une histoire, un imaginaire qui sont nôtres. Nous avons, dans notre parcours historique, souvent tragique, développé un sentiment d’appartenance à cette communauté.
C’est ce qui fonde l’existence d’une nation martiniquaise.
C’est ce qui fonde l’existence d’un peuple martiniquais.
La reconnaissance de cette nation et de ce peuple se veut incontournable dans le débat politique actuel. Par conséquent, aucun projet digne de ce nom ne saurait ni le nier ni le passer sous silence. Or, à aucun moment, dans le texte de la commission ad hoc, n’est clairement posée la problématique de la reconnaissance de l’existence du peuple martiniquais et de son droit à déterminer librement son destin, c’est-à-dire son droit à l’autodétermination.
Je rappelle que tout le débat politique du demi-siècle qui vient de s’écouler est un débat autour de la reconnaissance du peuple martiniquais et de son droit à l’autodétermination. Seule cette mise en perspective peut, pour nous, au PALIMA, donner sens aux évolutions proposées. Nous le répétons : à terme, notre peuple a vocation à se constituer en État souverain quoi qu’en pensent les adeptes de ce que CÉSAIRE appelait le « culte du cargo », en référence à cette religion de Nouvelle-Guinée dont le but consistait à attendre un messie blanc arrivant dans un bateau ou un avion chargé de cadeaux et de victuailles. À part les adeptes du « culte du cargo », qui donc ne se rend compte aujourd’hui de l’échec humain de la départementalisation ?
Ayant exposé, sans fard ni masque, devant vous et devant notre histoire, notre revendication d’un État martiniquais souverain, nous tenons à préciser que nous ne sommes guidés ni par le sectarisme, ni par le dogmatisme, ni par l’angélisme. Nous considérons en conséquence que, dans le contexte politique actuel, « un petit pas en avant vaut mille discours ». Ainsi, à partir du moment où le cap de l’émancipation de notre peuple est fixé, il est possible d’accepter un cheminement, il est possible d’accepter un certain nombre d’étapes vers l’émancipation nationale et sociale. Pas en sacrifiant l’essentiel à un consensus mou, fragile qui ne résoudra rien en termes de développement de notre pays.
C’est la raison pour laquelle nous proposons, dans le document portant sur la création d’une nouvelle collectivité martiniquaise, un amendement qui consiste à reconnaître l’existence d’une nation et d’un peuple martiniquais, car sans cette mise en perspective, sans ce souffle, nous passerons à côté de nos responsabilités qui consistent aussi à dire clairement à notre peuple le sens historique que nous souhaitons donner aux évolutions institutionnelles que nous sommes en train d’élaborer.
Ma conviction profonde est que cet amendement est important.
Nous voulons conclure en ajoutant qu’il faut faire preuve de plus d’audace concernant les compétences que nous revendiquons. Dans cet ordre d’idées, la revendication d’un véritable pouvoir législatif dans les domaines de compétences exclusives de la nouvelle collectivité constitue une exigence majeure.
Merci. »
Francis CAROLE
Mercredi 20 février 2002
MARTINIQUE