AU NOM DU GROUPE GRAN SANBLÉ POU MATINIK
À PROPOS DE LA PROCÉDURE DE SÉLECTION
D’UN DRAPEAU POUR LA MARTINIQUE
Chers collègues,
Notre groupe demande l’annulation de l’appel à projets lancé en vue de la sélection « d’un drapeau pour la Martinique ». Nous proposons à ce sujet un amendement qui doit être soumis au vote de l’Assemblée. Non pas que nous soyons opposés à l’idée d’un drapeau pour notre pays mais parce que nous sommes, comme de très nombreux Martiniquais.es, convaincus que le contenu comme la mise en œuvre de cet appel à projets sont marqués du sceau de l’incohérence politique, du manquement à l’éthique, de l’opacité, voire, malheureusement, du ridicule.
Nous ne cherchons, à travers cette proposition, à jeter l’anathème ni sur l’administration de notre collectivité, ni sur les participant.e.s à ce concours (que nous respectons). Nous mettons en cause -j’y insiste-une procédure surréaliste qui, en définitive, a eu deux « vertus » :
-d’abord celle de faire de la Martinique la risée du monde, notamment à travers les réseaux sociaux; nous avons ainsi offert à la toile planétaire, dans un contexte anxiogène de guerre et d’inflation, de longues semaines de rires…à nos dépends;
-ensuite, et plus fondamentalement, celle de diviser encore plus les Martiniquais.es.
Nous affirmons solennellement que notre pays, pour se construire, a un incontestable besoin de symboles. Mais cette construction pose tout autant une exigence de clarification des débats politiques, de transparence de nos démarches et d’éthique de l’action.
Le drapeau Rouge-Vert-Noir -avec les couleurs proposées par Victor LESSORT, membre de l’OJAM, en 1963, puis reprises en 1968 par Guy CABORT-MASSON, Alex FERDINAND, MENCÉ et Rodolphe RAMOS dans une configuration nouvelle-n’est pas mis en cause dans notre démarche. Bien au contraire ! Des fractions de plus en plus larges de notre peuple se reconnaissent dans ce drapeau qui symbolise, depuis plus d’un demi-siècle, notre lutte d’émancipation nationale et sociale. Sans trompettes et sans concours…
Nous voulons défendre la respectabilité et l’honneur du ROUGE-VERT-NOIR. Le drapeau national est sacré. Il doit être préservé de toute instrumentalisation, de toute turpitude et, dans son parcours, toujours symboliser les valeurs les plus hautes de l’engagement humain, celles capables de nous inspirer et d’inspirer les générations futures.
Or, la procédure mise en œuvre, bafoue les valeurs et le sens de notre symbole national.
Ainsi, très tôt, nous avons dénoncé la supercherie politique du Règlement de ce concours, qui, de manière sournoise organisait l’amalgame entre un « emblème régional », dans le cadre de la République française, et un drapeau national incarnant nos luttes d’émancipation nationale et sociale. Le premier est l’antithèse du second. L’emblème régional nous emprisonne dans le cadre colonial français. Le drapeau national, lui, symbolise, pour reprendre la formule de Frantz FANON, « l’esprit national martiniquais ». Il affirme devant l’histoire que nous sommes un peuple et que nous sommes une nation. Nous avons donc le droit à l’autodétermination. Ce sont donc deux visions différentes de notre histoire et de notre futur qui s’affrontent. Il importe, par esprit de principe, que nous évitions absolument de pratiquer la pensée welto (ou wè-y ou pa wè-y) et que nous disions la vérité à notre peuple. Il n’y a pas d’éducation politique du peuple hors l’éthique et la vérité.
En second lieu, nous regrettons la rupture de neutralité et de transparence initiée par le président du conseil exécutif lui-même quant à cet appel à projets. Comment en effet peut-on annoncer un concours « ouvert », « transparent », sollicitant la « créativité » des participant.e.s et déclarer solennellement, devant l’Assemblée, le même jour, « Je ferai tout pour que le drapeau Rouge-Vert-Noir gagne » ?
Certes, c’est loin d’être un crime que d’être partisan du drapeau RVN, mais c’est une faute politique de chercher, vicieusement, à influencer l’issue d’un processus démocratique au prétexte de ses positions propres et en profitant de sa position dans une institution politique. Cette propension au tripotage est mère de toutes les dérives. En s’engageant dans une telle voie, le président du conseil exécutif a laissé planer un doute épais comme un mauvais jour sur la régularité et l’honnêteté de la démarche de la collectivité. Il a créé un doute légitime des citoyen.ne.s sur le respect de leur choix. En somme, les dés ont été pipés et le peuple trompé.
Le drapeau Rouge-Vert-Noir n’a jamais eu besoin de ces méthodes pour gagner l’esprit et le cœur de notre peuple. Il n’en veut pas davantage aujourd’hui.
Dans un tel climat, fleurant mauvais le risque de fraude, les résultats ne pouvaient qu’interroger la population. On nous a présenté des bugs réels, des votes à répétition d’un corps électoral impossible à définir sur le net et une incompétence politique manifeste comme les symptômes de « cybers attaques ». Menées par qui ? Pourquoi ? La preuve de ces prétendues cyber attaques n’a jamais été apportée, ne serait-ce que partiellement. Comment, après ces mésaventures du vote numérique, en est-on arrivé à une proclamation de « résultats » là où, par décence, toute honte bue, on aurait dû tout annuler et recommencer autrement ?
Quant aux conditions de retrait du drapeau arrivé en tête (avec le colibri) en totalisant plus de 72% des suffrages, elles ont achevé de rendre encore plus surréaliste la tragi-comédie de la procédure. Le premier s’étant retiré (nous n’entendons pas prendre part aux polémiques survenues à cette occasion), on a pris le second arrivant (moins de 30% des votes) pour en faire le premier, comme s’il s’agissait d’une compétition banale, qui n’avait besoin ni de solennité, ni de rigueur et encore moins de l’adhésion de celles et ceux dont on prétendait pourtant solliciter l’avis. Là aussi, on n’a pas tiré les conséquences de cet échec et procédé à l’annulation de ce qui est bien apparu-nous sommes les premiers à le regretter-comme une mascarade.
Enfin, après ce terrible périple, on demande à l’Assemblée de cautionner par son vote une procédure dont la démonstration est faite qu’elle s’avère opaque et qu’elle n’honore pas les élu.e.s martiniquais.es. Contre tout bon sens, il nous est demandé d’attribuer une récompense de 8000€ à des personnes qui se sont contentées de reprendre un drapeau qui existe déjà, le Rouge-Vert-Noir, dont les auteurs (Cabort-Masson, Ferdinand, Ramos, Mencé) ne sont pas ceux qui l’ont inscrit à ce concours.
Au total, toutes les règles de la cohérence politique, de la transparence et de l’éthique ont été bafouées au cours de la procédure mise en œuvre par l’équipe dirigeant actuellement la collectivité.
Le drapeau Rouge-Vert-Noir, notre drapeau national, celui qui a rythmé nos luttes, accompagné nos morts, porté nos espoirs de dignité et de jours nouveaux, ne saurait être adopté dans de telles conditions.
Nous proposons donc un amendement portant sur l’annulation de cette procédure qui nous discrédite toutes et tous. Rien n’interdit cependant à l’Assemblée, en tant que telle, de soumettre le drapeau national martiniquais au vote des élus. Nous aurions préféré que ce soit à l’occasion d’une autre plénière, sur la base d’un autre rapport. Néanmoins, nous ne sommes pas opposés à ce que cela se fasse lors de cette plénière.
Nous avons tenu, dans cette intervention, à défendre l’honneur de notre drapeau national martiniquais dont la popularité s’est toujours développée dans les luttes, par l’explication politique et l’exemplarité des militant.e.s, sans jamais recourir à aucune manœuvre. C’est cela l’esprit de principe. C’est cela la culture de l’éthique que les générations de combattant.e.s qui nous ont précédé.e.s nous ont léguée et que nous voulons laisser à celles et à ceux qui, demain, continueront d’emprunter les chemins de notre liberté.
Nous ne sacrifierons jamais le sens et l’éthique de nos luttes sur l’autel des compromissions.
Merci de votre attention.
Francis CAROLE
MARTINIQUE
(Plénière de l’Assemblée de Martinique du jeudi 2 février 2023)