La nation martiniquaise, comme toute nation, constitue à la fois une communauté d’histoire et une communauté de destin. C’est une réalité géographique, historique, linguistique, culturelle, sociologique et économique.
La nation et le peuple martiniquais, multiculturels et multi ethniques -comme l’ensemble des peuples et nations de notre continent-se sont progressivement constitués dans le cadre des grands mouvements de populations -volontaires ou forcés- d’Europe, d’Afrique et d’Asie vers la Caraïbe et l’Amérique, tout au long des 17 ème, 18 ème, 19 ème et vingtième siècles.
Ce long processus a été marqué par le racialisme le plus primaire, le génocide des Kalinagos, la déportation brutale des Africain.e.s, réduit.e.s en esclavage sur les habitations détenues par les esclavagistes français, à l’aube du système capitaliste.
Le capitalisme doit son développement au pillage des continents dominés et à l’asservissement des millions de femmes et d’hommes originaires d’Afrique, d’Asie, d’Amérique et de la Caraïbe.
La société d’habitation constitue donc le creuset matriciel de la formation de la communauté martiniquaise.
Dès son premier congrès de janvier 2003, le PALIMA écrivait :
“Le colonialisme n’a pas simplement consisté à imposer une domination étrangère à une population et un État vaincus. Il a d’abord procédé à la destruction et à l’expulsion massives des peuples autochtones (Kalinagos), et à leur substitution par une population nouvelle : colons français et main-d’œuvre déportée soumise aux formes d’oppression les plus absolues que l’histoire ait jamais condamné un peuple à vivre.”
“Les noirs africains qui ont constitué la composante principale de notre peuple furent non seulement réduits en esclavage, mais officiellement relégués en marge de la race humaine comme le formalise le Code noir. Cette forme particulièrement traumatisante de l’esclavage colonial moderne a pesé de tout son poids sur nos corps et nos consciences durant près de la moitié de notre histoire collective. Elle a déterminé et détermine encore aujourd’hui, en grande partie, les problématiques auxquelles est confrontée notre société. Le complexe racial, avec tous ses tenants et aboutissants, est en effet loin d’avoir disparu.”
Les effets systémiques de l’esclavage se sont fait sentir à tous les niveaux, écologique, sociétal, social, économique, psychologique, humain… La société martiniquaise, à l’instar de l’ensemble des sociétés post-esclavagistes des Caraïbes et des Amériques, garde les séquelles d’une hiérarchisation raciale qu’il convient de briser pour construire définitivement notre nation.
Au milieu du 19 ème siècle, l’abolition de l’esclavage en 1848, aboutissement des révoltes constantes des Africain.e.s, sera suivie de l’arrivée, organisée par les colons, d’une main d’œuvre indienne, congo, chinoise et annamite qui sera, elle aussi, exploitée par les colons dans le cadre de l’économie sucrière et de la société d’habitation.
Ces femmes et ces hommes, d’abord réduit.e.s en esclavage -pour ce qui est des Africain.e.s-puis à la condition de main-d’oeuvre docile, prétendument de “races inférieures” “non civilisées”, sont arrivé.e.s avec une mémoire, des croyances, des valeurs civilisationnelles, une culture qui les rattachent à leurs civilisations et continents d’origines. La brutalité esclavagiste, le racisme, la domination coloniale ne les ont pas anéanti.e.s. Progressivement, il s’est donc constitué, à partir de cette expérience humaine et de ces racines multiples, une société particulière, une société martiniquaise, une personnalité martiniquaise, un peuple et une nation.
La nation n’est jamais une réalité figée dans un essentialisme hors du temps fondé sur les origines ethniques ou une identité qui seraient définitivement établies. C’est toujours un état de la conscience collective. Elle s’enrichit, à travers le temps, les épreuves, les conquêtes et l’histoire, de nouveaux brassages de populations et de références nouvelles.
Le 22 Mai 1848 constitue le cri de naissance de cette nation qui marque l’irruption sur la scène de l’Histoire de cette majorité exclue de la société dont la revendication essentielle est, à ce moment du combat émancipateur, la quête de l’égalité et du respect de la dignité de l’Africain.e.
Si l’Insurrection du Sud, en septembre 1870, marque l’irruption d’une revendication nationale martiniquaise, c’est à la fin des années 1950 que se manifestera une conscience nationale qui ira en se renforçant. Son expression la plus manifeste sera, après les émeutes urbaines de décembre 1959, la création de l’Organisation de la Jeunesse Anti-colonialiste Martiniquaise (OJAM) dont le mot-d’ordre sera « La Martinique aux Martiniquais ».
L’illusion assimilationniste et la confiance dans le modèle émancipateur universaliste français se voient ainsi clairement remises en cause. La revendication nationale implique désormais l’émancipation totale de toute tutelle française.
L’existence d’une nation et d’un peuple martiniquais pose inéluctablement la question du droit à l’autodétermination et celle de la création d’un État martiniquais souverain.
L’émancipation nationale, la souveraineté, l’indépendance n’ont jamais signifié l’isolement, la haine de la France et la fin de toute relation avec le peuple français mais la liberté et la possibilité de construire de nouvelles relations avec tous les pays du monde, dans le respect de notre égale fraternité et de notre droit inaliénable à défendre nos intérêts propres.
Contrairement à certaines affirmations, l’avènement de la mondialisation ne remet pas en question la pertinence de l’Etat-Nation. Bien au contraire ! De fait, dans le contexte de la mondialisation ultra-libérale, la nation constitue un espace de résistance et de possibilité de construction d’alternatives économiques, sociales, politiques, culturelles permettant d’assurer un meilleur développement humain.
Il est indéniable que le mouvement patriotique martiniquais, en dépit des débats existant en son sein, en dépit de ses contradictions internes, a considérablement progressé ces dernières décennies.
L’aboutissement de nos luttes pour l’émancipation nationale et sociale de notre peuple constitue désormais une perspective concrète et réaliste.
Cette perspective convie tous.tes les militant.e.s du patriotisme révolutionnaire à un effort sans précédents pour augmenter de manière significative le niveau de conscience et d’engagement du peuple martiniquais. Elle commande en même temps plus d’exigences intellectuelles et une vision politique et stratégique à la hauteur des enjeux du futur.
“Les approches idéalistes n’ont pas complètement disparu dans les dernières décennies. Elles nourrissent une tendance à agir comme si chaque génération, et au sein d’une même génération chaque nouveau groupe, avait la prétention de tout découvrir, faisant table des acquis, niant les apports -quelque soient leurs limites- des uns et des autres.” ( 1 er Congrès du PALIMA-Janvier 2003).
Le projet national martiniquais vise à rassembler toutes les composantes historiques ou plus récentes du peuple martiniquais : Afro, indo et euro-descendants qui voudront prendre part à la construction d’une Martinique souveraine, démocratique, multiculturelle, respectueuse de toutes les origines, débarrassée de toute caste et de tout suprémacisme ethnique.
4 ÈME CONGRÈS DU PALIMA
Dimanche 27 mars 2022