Pour surprenant qu’il puisse a priori paraître, le double discours du ppm, lors de la remise du rapport de la commission mixte sur la collectivité unique, ne s’inscrit pas moins dans le jeu de wèlto permanent de l’actuelle direction de ce parti, uniquement obsédée par la chasse aux postes. L’observateur honnête de la vie politique martiniquaise n’aura en effet pas manqué de noter que, depuis les congrès de 2002, le débat institutionnel n’aura été pour cette nouvelle droite qu’un champ de manœuvres pour accéder au pouvoir, au mépris des intérêts fondamentaux du pays. C’est cette même ligne du « ou wè-y ou pa wè-y » qui sous-tend ses positionnements actuels et éclaire le sens de la petite cabale du jeudi 16 septembre.
Les discours de la duplicité
L’obsession du ppm consiste à vouloir prendre le Conseil Général en mars 2011. Le pouvoir d’abord ! Le pouvoir à n’importe quel prix ! Voilà le cap ! Tout le reste se voit subordonné à ce mirage forcené. Les sempiternels soliloques du président de Région sur le chômage et le développement, les lamentations théâtrales sur les difficultés de notre jeunesse ne constituent qu’autant de fragments de discours démagogiques dans une stratégie électoraliste qui se manifeste y compris dans « le plan de relance », lequel a grassement servi les communes amies et la « ville capitale ».
Ainsi, la déclaration du secrétaire général, préparée à l’avance, écrite, n’est ni une maladresse, ni la manifestation d’une absence de concertation au sein du parti et encore moins l’expression de la démarche solitaire d’un individu frétillant, ravi, dans les alizés « démocratiques » d’un parti dont chacun sait qu’il est personnalisé, voire « gourouïsé » à l’extrême.
Il s’agit, incontestablement, d’une manœuvre visant à alimenter la tension politique et à jeter le discrédit sur l’adversaire, à quelques mois des cantonales, avec la certitude que les accusations lancées seront copieusement et complaisamment relayées par les médias, sans analyse critique, et alimenteront in fine incompréhension et confusion dans les esprits.
Quant au fond, la déclaration du secrétaire général de l’ancien parti de Césaire frappe par son insignifiance politique et ses contre-vérités aussi lamentables que délibérées :
« (…) nous en sommes restés à une mosaïque de positions différentes, voire divergentes, dans lesquelles les clivages politiciens et les positions idéologiques, et sans doute revanchardes, ont pris le dessus sur ce qui devait constituer une vision haute de l’intérêt du pays… ».
A dire vrai, la commission mixte a adopté des positions largement consensuelles sur de nombreux points en débat : Le nom de la collectivité, la gouvernance de l’assemblée, les instances consultatives, les ressources de la collectivité, la fusion des administrations, les habilitations. Lors de sa séance supplémentaire du mardi 21 septembre, elle s’est prononcée –à l’unanimité- sur le nombre d’élus, le nombre de conseils consultatifs et le phasage de la mise en place des instances de la nouvelle collectivité (conseil exécutif et président de l’assemblée).
Seules trois questions n’ont pas pu donner lieu à un accord : Le mode de scrutin, les compétences et la date de mise en place de la collectivité.
Précisons cependant que, même sur le mode de scrutin, un accord a été trouvé sur le choix de la proportionnelle. Le ppm prévoyait en effet un scrutin mixte dont la part du vote uninominal aurait fait perdre l’acquis fondamental de la parité et de l’égale représentation des femmes et des hommes dans les instances politiques de notre pays. Par ailleurs, afin de favoriser ce consensus, le Groupe des Patriotes et Sympathisants a renoncé à sa proposition initiale d’une seule circonscription pour en accepter quatre. Le ppm, lui, s’est agrippé à la division de la Martinique en neuf tronçons dont les différences de poids démographiques et le manque de cohérence sociologique interpellent.
Il reste que, vu l’éloignement des positions de départ et l’acuité des affrontements de la période précédente, il faut avoir la langue et l’esprit fourchus pour déclarer, dans une hilarante grandiloquence, « l’échec de cette commission ».
L’intervention du président du ppm / président de Région, aux antipodes effarants de la déclaration de son secrétaire général, le même jour, en un même lieu, avait pour objectif de tenter de donner de lui une image de « rassembleur », de promoteur d’une « union sacrée » face aux « autorités françaises ». En fait, nul n’ignore qu’il en représente aujourd’hui le plus sûr relais, surtout depuis l’entrée en évanescence de la droite :
« Je découvre qu’il y a 13 points d’accord, ce qui n’est pas mal… Nous avons correctement fait des avancées remarquables ». « Nous avons correctement fait des avancées remarquables » … Comme on est loin de « l’échec » !
Ce scénario sans imagination, à la « Docteur Jekyll et Mister Hyde », dit bien à quel point la duplicité politique est ancrée dans la culture des dirigeants du ppm nouveau.
Enfin, les stratagèmes électoralistes du ppm s’alimentent à la source la plus pure de la pensée assimilationniste. Il n’est ainsi pas sans intérêt de souligner que dans ses propos, le secrétaire général du ppm a repris à son compte tous les vieux poncifs idéologiques de l’ère Rimise qui avait été utilisés contre Césaire : « aventure », « repli sur soi », « fragilisation des acquis », « opposition à la France ». Voilà donc la « voix forte et commune », « la vision haute de l’intérêt du peuple » qu’ils nous proposent ! Mais, le ronflant de la rhétorique ne garantit pas mécaniquement la profondeur et l’amplitude de la pensée…
Les fossoyeurs de l’autonomie
Outre certains aspects du mode de scrutin (nombre de circonscriptions, prime à la liste arrivée en tête), la commission mixte s’est surtout heurtée à deux écueils majeurs, connus d’avance : La date de la mise en place de la nouvelle collectivité et la question de ses compétences.
Ces deux contradictions révèlent des conceptions de la politique, des visions éthiques, des rapports à la démocratie et au pouvoir difficilement conciliables.
Pour notre part, nous considérons 2012 comme une échéance raisonnable, suffisante, voire impérative pour l’installation de la nouvelle collectivité.
Les manœuvres du président de la région visent à renvoyer le terme de ce processus à 2014, soit plus de 4 ans après la consultation du 24 janvier 2010 et onze ans après celle de décembre 2003 ! L’actuel président de région porte une responsabilité personnelle et lourde dans ces années perdues pour la Martinique.
Cette position montre le niveau de mépris des dirigeants du ppm pour les électeurs qui, en janvier 2010, ont demandé la suppression de la région monodépartementale et la création d’une collectivité unique. Pourquoi faut-il donc attendre quatre longues années pour créer une collectivité unique, de surcroît dans le cadre de l’article 73 de la constitution française ? Cette position à elle seule montre la volonté de contourner le suffrage populaire.
L’évocation du « calendrier » parlementaire français (toujours la mentalité de soumission de l’oncle Tom !), de la « fusion des administrations », de la « concertation avec les personnels » constituent autant d’arguments prétextes qui ne résistent pas à l’analyse.
En effet, la « fusion » des deux collectivités ne pourra s’opérer concrètement qu’après la mise en place de la nouvelle collectivité unique. Tant que le Conseil Général et le Conseil Régional existeront, ils disposeront de deux présidents, de deux administrations et de deux budgets différents. Par contre, la commission mixte a préconisé, en page 10 de son rapport, ce qui suit :
« La commission a unanimement et expressément recommandé que la fusion des administrations fasse au plus tôt l’objet d’une étude d’un (ou de) cabinet(s) spécialisé(s), en concertation avec les représentants des personnels des deux collectivités ».
Le délai de 2 ans que nous proposons s’avère donc largement suffisant pour préparer cette fusion –« en concertation avec les représentants des personnels »-.
Pour le ppm, la perspective de 2014 correspond, on le sait, au projet de conquête (très hypothétique) du Conseil Général en mars 2011, au détriment des urgences liées à l’état de délabrement de notre pays et des difficultés rencontrées quotidiennement par la population martiniquaise.
Ces urgences sont politiques, économiques, sociales, culturelles, sociétales, humaines… Les sacrifier à des calculs de petit boutiquier révèle le niveau d’irresponsabilité de la direction actuelle du ppm, dans un contexte global qui exige une impulsion politique forte et de nouveaux instruments de développement. Ceux-ci, quoiqu’insuffisants dans le cadre de l’article 73 et du système colonial, pourraient mieux armer notre pays pour tenter de faire face à des défis qui, eux, n’attendent pas la fin du bal des moustiques.
Que l’on nous permette d’ajouter que ces contraintes ne nous sont pas seulement imposées par des facteurs propres à la Martinique mais aussi par la crise qui frappe le monde ainsi que par des enjeux planétaires, tel que le réchauffement climatique.
On voit donc bien dans quel camp se trouvent les fossoyeurs du progrès. Ce sont les mêmes qui, en décembre 2003, ont tout fait pour mettre en échec une première consultation populaire sur la collectivité unique. Ce sont les mêmes qui ont tenté de faire obstruction lorsqu’Alfred MARIE-JEANNE et Claude LISE ont convoqué les congrès qui ont conduit aux consultations de janvier 2010. Et ce sont encore les mêmes qui, aujourd’hui, veulent renvoyer la mise en place de la collectivité unique à l’horizon incertain de 2014… Si nous les avions suivis, nous serions exactement dans la même impasse que Victorin LUREL, président de la région Guadeloupe, ankayé dans la réforme des collectivités territoriales françaises.
Respecter le choix du peuple et poursuivre notre travail pour la souveraineté
Si « échec » de la commission il y avait eu, il aurait résidé dans l’avortement de la tentative du ppm de nous associer à une véritable forfaiture politique consistant à négocier avec Sarkozy de nouvelles compétences, dans le dos du peuple et en contradiction avec l’esprit et la lettre de la consultation du 24 janvier.
Ce mépris du vote populaire apparaissait déjà clairement dans une déclaration politique signée par le président du Conseil Régional, à Basse-Terre, le 17 juin 2010, sans débat préalable au Conseil Régional de Martinique, demandant –au nom de qui ?- de « nouvelles compétences » et « un pouvoir réglementaire autonome ».
Pour tenter de donner une consistance juridique à son entreprise, il évoque le caractère « sui generis » (qui appartient en propre à la chose dont il est question) de la nouvelle collectivité. Cette gymnastique argumentative, contestable juridiquement, s’avère absolument irrecevable sur les plans politique et éthique. La litanie pseudo juridique sur le statut « sui generis » ne saurait nous détourner de la réflexion politique.
En effet, le 24 janvier, la population avait été invitée à se prononcer sur « la création d’une collectivité unique exerçant les compétences dévolues au département et à la région tout en demeurant régie par l’article 73 de la constitution ».
Point n’est besoin de démontrer que nous ne sommes pas des adorateurs de l’article 73 de la constitution française. Point n’est besoin de préciser que nous nous sommes battus pour une autonomie dans le cadre de l’article 74, avec l’espoir de disposer de compétences plus larges pour notre pays. Point n’est besoin de rappeler qu’en alliance avec les békés la direction actuelle de ce qui fut, jadis, le parti de Césaire a été le principal fossoyeur de l’autonomie martiniquaise.
Mais, en démocrates, nous respectons le choix des Martiniquais. Mission ne nous a pas été donnée pour négocier en catimini (an ba fèy) des « compétences nouvelles » ou une quelconque « autonomie réglementaire », huit mois seulement après une consultation qui n’a certes pas répondu à toutes nos espérances mais qui exprime la volonté du peuple. Nous ne saurions par conséquent nous compromettre dans les stratégies de « konpè lapen » et la diplomatie de petits comploteurs du ppm dont l’attitude est synonyme de mépris vis-à-vis des Martiniquais. Nous avons toujours clairement dit à nos compatriotes qui nous sommes et ce que nous voulons. Nous ne participerons donc à aucun arrangement politicien dans leur dos.
De quelle éthique oseraient se réclamer des responsables politiques qui, après avoir demandé que le peuple se prononce sur une question, traite par-dessus la jambe sa décision et font ce qu’ils veulent ?
Cette manœuvre à courte vue serait un coup fatal porté à ce qui reste de crédibilité à l’action politique. Ce serait aussi un dangereux précédent au regard des principes démocratiques. Nous avons voulu cette consultation, nous devons en respecter et en assumer les résultats. Cette exigence porte aussi sur la mise en place de la collectivité unique dès 2012.
La convocation démagogique d’un congrès des élus départementaux et régionaux pour tenter de donner une couche de vernis démocratique à une remise en cause de la décision populaire ne changerait pas dans le fond la question. Seule, en effet, une nouvelle consultation du peuple martiniquais sur la question des compétences et du cadre pourrait permettre de revenir sur le choix du 24 janvier 2010 qui portait sur « la création d’une collectivité unique exerçant les compétences dévolues au département et à la région ».
Le processus de responsabilisation politique d’un peuple ne se construit pas en recourant à des stratégies de ruse et de manipulation du peuple que l’on prétend responsabiliser. Le contrat que nous avons avec notre peuple est un contrat de vérité, de transparence et de respect de sa parole. Nous nous y tiendrons, tout en continuant à œuvrer partout pour sortir notre pays de la situation coloniale et ériger, à terme, un Etat martiniquais. Nous ne laisserons pas le destin de notre nation entre les griffes des affairistes et des manipulateurs.
Francis CAROLE et Clément CHARPENTIER-TITY