Née d’une mobilisation de type syndical portant sur le pouvoir d’achat, l’emploi et la reconnaissance du fait syndical martiniquais, la grève générale du jeudi 5 février 2009 s’est transformée en lutte populaire bien plus large.
Les dizaines de milliers de manifestants qu’elle charrie, la participation de catégories sociales multiples, la présence de la jeunesse, la nature des revendications exprimées, le soutien de la population en dépit des difficultés rencontrées, l’ambiance de fierté palpable dans les foules font de ces journées de février un événement charnière dans l’histoire de la Martinique.
Au-delà des négociations en cours à la préfecture et de leur issue, ce sont les dogmes économiques de la société coloniale, ses rituels idéologiques, son fonctionnement, ses chimères et ses prétentions qui sont mis à nus par cette insurrection tranquille de notre peuple.
En écho à février 1974, février 2009 ne nous convie pas au toilettage du corps putréfié du statut départemental pour une nouvelle ronde macabre des zombis. Il nous exhorte, au contraire, à enterrer au plus vite le cadavre et à assumer l’avenir… en liberté et en lucidité.
S’EMANCIPER DE TOUTES LES DEPENDANCES
L’Etat français fait semblant de découvrir l’impasse économique de la Martinique ou l’attribue à la crise internationale. Or, sans nier que le cataclysme financier né des subprimes ait un impact dans notre pays, ce sont surtout les fondements de l’économie coloniale départementale qui expliquent la situation actuelle, même si le passage à l’euro a accentué la cherté de la vie.
Depuis plusieurs décennies, en effet, on a assisté au développement d’une société de surconsommation fondée sur l’importation. Ce système est dominé et organisé par la caste békée qui maîtrise, en totalité ou en majorité, les centrales d’achat, la grande distribution et les principales filières de l’économie.
La position de monopole des békés, la complicité active de l’Etat français avec la « communauté », l’extrême dépendance par rapport à l’extérieur, l’absence de souveraineté alimentaire ont généré un système mafieux fondé sur la spéculation, le pressurage des consommateurs, la cherté de la vie et la précarité.
La rupture d’avec cette logique d’extraversion et de domination est une des exigences posées par le mouvement actuel comme condition indispensable pour trouver un certain niveau d’équilibre, de cohérence et de rationalité dans notre organisation sociale.
La réorientation de notre mode de développement exige de briser le monopole béké par tous les moyens, afin de construire une économie fondée sur les besoins alimentaires, matériels, sociaux, culturels et intellectuels de notre peuple.
Ce sont donc les martiniquais qui doivent être au centre de notre développement –comme acteurs- non les intérêts békés et capitalistes. Maîtriser notre développement c’est maîtriser notre présent et notre futur, et cesser de n’être qu’une clientèle captive dans les stratégies de pouvoir des autres.
Déclaration de Yves JEGO en Guadeloupe :
« J’ai convoqué les chefs de service et j’ai vu qui dirigeait et qui était dirigé ».
BRISER LES EXCLUSIONS
Au-delà de la cherté de la vie et de la précarité de l’emploi, les martiniquais se sentent de plus en plus exclus de leur propre société.
Cette exclusion est symbolique et politique -absence de souveraineté etc…– mais elle est aussi physique. Elle s’exprime, par exemple, dans le domaine du foncier et affecte toutes les catégories sociales.
La loi de défiscalisation de 1986 a, en effet, encouragé une spéculation foncière qui rend presque impossible l’accession des martiniquais à la propriété, tant le prix des terrains est devenu prohibitif. La technique de « vente en état futur d’achèvement » et la commercialisation des opérations immobilières, directement sur internet ou par les réseaux d’agences immobilières sur le marché européen et français, aggravent la mise à l’écart des martiniquais, accélèrent les déclassements des terres agricoles et la réduction de la surface agricole utile qui est passée de 62 000 ha en 1970 à 28 000 ha en 2005.
Ainsi, par sa politique, l’Etat français a favorisé la constitution de ghettos socio-raciaux qui s’ajoutent à l’apartheid béké, suscitant interrogations, malaise et révolte légitime.
De même, dans le domaine de l’emploi, on assiste à l’émergence de réseaux communautaristes qui favorisent l’embauche de leurs ressortissants, au détriment des jeunes martiniquais, dans un contexte déjà marqué par un taux de chômage record (plus de 21 %).
La discrimination ethnique à l’embauche constitue un fait incontestable, même si ce constat peut heurter certaines sensibilités. Mais, quand on veut guérir la maladie, il vaut toujours mieux crever l’abcès. Cela évite d’avoir à traiter des gangrènes ou à procéder à des amputations.
Aussi délicate qu’elle puisse paraître, la question du génocide par substitution doit être affrontée lucidement.
Quelle paix sociale pouvons nous, en effet, prétendre construire dans une société qui exclut de plus en plus les martiniquais de leur pays ?
De quelle égalité peut-on se prévaloir lorsque, manifestement, les principaux responsables des services de l’Etat et des grandes administrations, les juges et autres ne sont pas martiniquais.
Comment expliquer et comment admettre qu’en Martinique certaines entreprises évitent d’embaucher du personnel local ?
Jusqu’à quand fermerons-nous les yeux et baisserons-nous la tête ?
PENSER ET AGIR POUR QUE LA MARTINIQUE NOUS APPARTIENNE VRAIMENT
La bataille contre la vie chère et pour l’emploi, à la base de la mobilisation en cours, doit être menée fermement jusqu’au bout : Il n’y a pas de victoires importantes sans sacrifices importants.
Les doléances exprimées par les nombreux secteurs qui ont rejoint le Collectif du 5 février, mises en cohérence, constituent un programme de revendications populaires à faire aboutir.
Ce mouvement bouscule les fondements mêmes du statut départemental. Il exprime l’aspiration des martiniquais à prendre en charge ce pays, à profiter de son développement et à ne plus être considérés comme de simples faire-valoir, des exécutants, des consommateurs, des administrés. Nous sommes donc sommés, en lucidité et en courage, de changer ce cadre qui ne correspond ni à ce que nous sommes, ni à l’avenir que nous voulons pour nos enfants, ni aux pulsations du monde.
La Martinique ne sera jamais à nous si nous ne prenons pas l’engagement de la reconstruire par nous-mêmes, pour nous-mêmes.
Le PALIMA est partisan d’un Etat martiniquais souverain et démocratique, au service du plus grand nombre. Mais, pour l’heure, avançons ensemble. Coude à coude, inventons les « chemins de nous-mêmes ». Refondons un projet martiniquais, centré sur nos intérêts de peuple et de nation, capable de prendre en charge notre parcours historique et nos légitimes aspirations pour le futur.
Un tel projet, tout en brisant les vieilles structures et les vieux schémas oligarchiques et coloniaux, accueillera toutes celles et tous ceux qui, en respect, souhaitent y participer ; car il n’y a pas de comptes à régler ou de revanche à prendre. Il y a à être nous-mêmes, auteurs et acteurs d’une société que nous voulons souveraine, juste et soucieuse de l’épanouissement de tous.
Francis CAROLE
Clément CHARPENTIER-TITY